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WOOFING ET POMMES
Pozieres
,
Australia
Une fois arrivés, la mégère de l’agence nous demande de suivre son vieux 4x4 jusqu’au marché ou notre prochain ‘employeur’ vend ses produits.
On suit donc le 4x4, on traverse la petite ville (Stanthorpe) et on tombe sur une route inondée, on fait demi-tour pour atteindre un pont un peu plus haut. Un voyant s’allume sur le tableau de bord : le niveau d’eau est faible, l’eau du système de refroidissement s’infiltre dans le moteur. C’est arrivé une fois, quand on l’a acheté à Sydney. Ca ne devrait pas arriver, on a fait réparer la culasse. Pourtant ça ne peut être que ça. Le voyant s’éteint et se rallume, comme il l’avait déjà fait.
Enfer et damnation !!!!!!
On arrive à ce qui en fait de marché est un stand unique dans le jardin des parents du gars, à l’écart de la ville mais proche d’une route, des voitures sont garées à côté du stand et des gens embarquent des caisses de polystyrène dans leurs coffres. La mégère de l’agence avait commandé une boite, elle l’embarque et se tire après un court échange avec nos nouveaux hôtes, je ne crois même pas qu’elle nous ait dit au revoir.
Il est 16h00 le 12 janvier, 10 jours seulement après avoir quitté la plage. On fait connaissance avec Ray et Sam, deux jeunes agriculteurs ayant choisis de produire et manger bio ainsi que de ne tirer la chasse qu’une fois tous les 36 du mois, mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Ils vendent leurs fruits et légumes deux fois par semaine, le mercredi c’est ici, chez les parents de Ray, ce sont des commandes passées par leurs clients sur internet, et un dimanche sur deux au Marché Bio de Brisbane, vrai marché cette fois ci.
Ils ont besoin de travailleurs, ils nous expliquent que chacun son tour on préparera à manger, on n’aura qu’à noter ce dont on a besoin sur un tableau. II y a déjà deux françaises chez eux, ce sont elles qui s’en occupent ce soir, le diner doit être prêt à 17 heures (QUOI ?!!!) parce que c’est l’heure à laquelle les enfants mangent (Charlie 1 an et demi et Eva 3 ans et demi).
-Le matin vous travaillerez de 5h00 à 9h00, avant qu’il fasse trop chaud, nous dit Ray avec son air bonhomme.
Sourires.
Ils semblent sympas, la douleur de devoir se lever aussi tôt pour ensuite n’avoir rien à foutre de la journée est inhibée par le fait que la voiture va encore nous coûter un bras alors qu’on a bientôt plus d’argent, sans parler de la semaine précédente pendant laquelle on se disait qu’on allait devenir résistants à n’importe quoi.
On patiente une demi-heure en gouttant une prune délicieuse et en parlant de choses et d’autres, dont notre expérience passée dans les fermes australiennes, et on n’oublie aucun détail, comme ça ils savent qu’on en a ras le cul de toutes ces conneries.
Sam doit rentrer plus tôt que le mari qui va finir d’accueillir les derniers clients avant de plier stand et de rentrer à son tour, donc on la suit en regardant ce foutu voyant nous narguer. On emprunte une petite route de sable qui a été défoncée par les intempéries.
On arrive à destination, leur maison est sur la droite, en face de l’autre côté de cette piste de sable se trouve une sorte d’atelier et plus loin en face, des caravanes. On y rencontre la mère de Sam venue s’occuper des enfants ce jour-là, et deux bordelaises de 20 ans venues en Australie comme tant d’autres pour apprendre l’anglais, mission impossible pour la plupart. Elles préparent un plat de pâtes et sauce aux aubergines. La maison est en tôle et en bois comme toutes les maisons de fermiers et on y entre par la cuisine, elle n’est pas très spacieuse mais de toute façon, on ne vivra pas avec eux parce que Sam nous emmène au rez de ce qui il n’y a encore pas très longtemps était un terrain de tennis, cadeau des parents pour leur anniversaire de mariage « alors qu’ils savent très bien qu’on ne joue pas au tennis » nous dit Sam.
Haha.
2 caravanes et un mobile-home, notre nouvelle maison. Les deux françaises utilisent évidemment déjà les deux meilleures caravanes. On met nos sacs dans la plus petite, on y tient pas debout, ça pue le renfermé, ça fait chier.
Retour à la maison, Ray est là, on entre et on tombe sur Sam, sein a l’air en train de nourrir son dernier, vision d’horreur, alors on joue avec Eva, ou plutôt elle joue avec nous en nous montrant tous ses foutus déguisements, on lui dit qu’elle a de la chance.
Au repas je demande à Ray s’il connait un bon mécano qui ne nous la fera pas à l’envers. Les deux françaises nous disent qu’elles dorment ensemble, elles ont peur, donc la caravane du milieu est libre et elle est un peu plus grande. Cool.
Sam nous dit qu’on doit s’inscrire sur le site de l’organisation du wwoofing, ça coûte $60 a l’année, c’est pour l’assurance.
-Pas de problème
(on a déjà une assurance, on ne payera jamais cette inscription)
Et puis les deux françaises décident de nous parler ouvertement, en français, de leur situation alors qu’on est tous en train de déguster la bière de Ray :
-Non mais franchement c’est de la merde ici (néanmoins un peu vrai, n’a-t-elle jamais entendu parler du langage corporel et du ton d’une phrase) Et regardez-moi cette petite conne d’Eva…. (En anglais) Eva, viens je vais t’aider à manger…non tu ne veux pas…(en français) petite conne, hehehehe.
On regarde nos assiettes en essayant de ne rien laisser transpirer et elle continue :
-Et puis franchement, nous ça fait une semaine qu’on est là et on est sensée faire la vaisselle à tour de rôle mais eux ne font rien, c’est trop pourri, j’espère pour vous que vous ne resterez pas longtemps. C’est dégueulasse ici.
-Moui, et vous vous allez faire quoi après ? Pour changer immédiatement de sujet avant que le malaise se sente sur nos visages.
Le lendemain on est levé à 4h30, petit-déj dans la cuisine avec Ray, la gueule dans le cul, mais toujours sympa. On cueille des fraises bios pendant deux heures. Les deux heures suivantes je les passe à défraichir les herbes hautes à la débroussailleuse autour du terrain de tennis, il y a une sorte de barbecue en brique sous les herbes. Cherryne trie des fraises.
Dans l’après-midi on va chez le mécano indiqué par Ray, il confirme que c’est la culasse ou au moins le joint et on lui laisse la voiture, il nous dit qu’on en aura pour $700 et une semaine de réparation. Une des françaises qui nous a suivi nous ramène à la ferme. Une semaine minimum sans pouvoir bouger d’ici. Oublions tout, serrons les dents et avalons notre salive.
Ray et Sam vont nous préparer le diner ce soir, dans le barbecue en briques, un de mes plats favoris, une cuisse d’agneau rôtie et des pommes de terre, de la bière faite maison (drôle de goût mais buvable) et du vin rouge. La table est une immense pierre de granit. Les enfants sont drôles, je parle à Ray de son style d’agriculture et de l’innéité ou l’éducation de la propension d’un garçon ou d’une fille à aimer soit les outils soit les robes roses (à cause d’Eva qui soulève sa robe de princesse pour nous montrer sa petite culotte quand elle en a une). Il me dit qu’il n’a jamais mis de GI joe dans les mains de son fils mais que son jouet préféré est une perceuse et qu’il n’a jamais fait en sorte que sa fille veuille s’habiller en princesse et pourtant elle est naturellement attirée par ces couleurs pastel horribles et ces tutus débiles. Il me dit que sa femme non plus ne l’éduque pas de manière à ce qu’elle soit attirée par tel ou tel objet, donc que ça doit bien être naturel et non culturel. J’argumente sur le fait qu’elle lise des histoires de princes charmants et que bannir la télévision ne suffit pas apparemment, puis il fait nuit et c’est l’heure de rentrer chez soi.
On se dit que dans notre malheur on a au moins la possibilité de ne plus rien dépenser pendant quelques temps chez des gens qui paraissent normaux.
Le lendemain, tête dans le cul, fraises à nouveau, un peu d’échalotes, le job n’est pas bien compliqué mais on se fait chier le reste du temps.
La plus petite des deux françaises nous demande tous les matins s’il a plu. On suppose qu’elle fait allusion à la rosée qui lui mouille les chaussures quand elle va chier avant de prendre son petit déjeuner.
Ah oui, les toilettes : à 10m des caravanes se trouve un petit bloc WC douche et lavabo. L’eau vient d’un étang utilisé pour irriguer les plantations mais aussi pour fournir la douche en eau brunie par le tanin. On se lave les dents avec, ce n’est pas dangereux nous disent-ils, c’est juste la couleur naturelle de l’eau. Mon œil, elle pue le moisi c’est immonde. Les toilettes sont sèches, on chie dans un seau et on y jette de la sciure de bois pour cacher nos étrons mais ça ne cache pas l’odeur ni n’empêche les mouches d’investir les lieux. On appelle ça vivre dans la merde. Le soir, des araignées grosses comme des balles de baseball tissent leurs toiles autours des caravanes.
On n’a plus de voiture…on ne dépense plus d’argent…on n’a pas le choix…ces gens sont sympas…on n’a pas le choix…pour l’instant 33 jours au compteur du renouvellement du visa, 55 jours encore à effectuer, aujourd’hui le 14 janvier 2011 on est en Australie depuis 4 mois qui semblent infiniment long. On serre les dents et on avale notre salive.
A midi le mécano m’appelle et m’annonce qu’il doit bien évidemment démonter la culasse, mais pour que la réparation soit complète, il doit remplacer 6 écrous a $50 l’unité. La facture sera donc de $1000.
-C’est toujours bon ?
- …Oui…ce n’est pas comme si on avait le choix. Go.
Le lendemain, 4h30, petit dej, tête dans le cul.
-Mais il a plu ou quoi !?
Plantations, fraises, herbes et courgettes et préparation du marché de Brisbane. L’eau s’en est retirée et il est possible de reprendre une activité normale par là-bas, malgré l’odeur.
On supporte les commentaires puériles de ces deux idiotes parce qu’on ne les écoute pas vraiment, elles sont jeunes.
Au diner Sam nous demande lequel des deux couples va accompagner Ray demain au marché pendant qu’elle reste ici avec les enfants. Le départ est à 1h00 du matin, ils sont en train d’acheter un van mais pour l’instant le voyage se fera à l’avant du pick-up truck, autrement dit, 3 heures de route avec au choix un genou coincé dans la bouche de ventilation ou le levier de vitesse coincé entre les fesses.
-On vient d’arriver, vous n’avez qu’à y aller cette semaine et on ira dans 15 jours, lançons nous a l’adresse des deux françaises.
Le lendemain, grasse mat’, il est 7h30 quand on émerge. La journée promet d’être longue mais au moins les deux petites connes sont parties pour la journée. Dans la maison, Sam a déjà le sein à l’air. Elle nous avait parlé de lampes solaires qu’on pourrait utiliser pour arranger un peu notre aire de vie alors je les lui demande en détournant le regard maladroitement. On passe donc la journée à laver et embellir notre nouvelle maison, ça fait passer le temps. Vers 16h00 les marchants reviennent et on va bientôt passer à table. On est de corvée.
Lundi, 4h30, tête dans le cul dans la cuisine.
-Mais il a plu ou quoi !
Fraises et échalotes, un peu de courgettes.
Ray nous emmène dans la foret qui entoure ses petites plantations, on arrive au bord d’une rivière qui coule en pente sur des rochers de granite, un toboggan naturel. Il plonge dans l’eau, on le regarde mais on n’a pas très envie de se mouiller pour l’instant même si la couleur de l’eau rappelle celle de la douche et qu’il fait chaud. On est encore en habits de travail.
-il n’y a pas de serpents ou autres rampants indésirables qui règnent sur ces rochers chauds et cette eau sale ?
-Je ne garantis rien, c’est l’Australie ! répond-il avec un sourire entendu et ruisselant.
-OK , écoute on se baignera plus tard alors, tu comprends, j’ai pas de serviette…tout ça….
Sur le chemin du retour on joue avec une fourmi taureau, grosse comme ton petit doigt de pied, noire ou rouge, des mandibules jaunes gigantesques, quand on s’approche, elle se retourne sur nous et nous suit du regard en se dressant sur ses pattes arrières, quand je prends une brindille et que je la titille elle attaque la brindille sans peur des représailles que ça pourrait engendrer. Je décide de changer de jeu et de soulever des pierres. Je savais bien que j’allais y trouver d’autres bêtes bizarres pourtant quand une salamandre se dévoile sous la deuxième pierre que je trouve, je pousse le bruit court et strident de la peureuse et je relâche la pierre en reculant. Fracas. Je viens de buter une salamandre. Je dis une prière et il est l’heure de rentrer.
L’après-midi, Sue de l’agence appelle à la maison et demande à nous parler. Elle nous propose d’aller emballer des oignons à St Georges à quelques centaines de kilomètres plus loin dans les terres, « il y a du travail pour un mois ».
-Oui le problème Sue c’est que notre voiture est en panne et elle est encore au garage, elle sera prête dans deux jours, est ce que c’est compatible ?
-Ah oui pas de chance…passe-moi les deux françaises je vais leur proposer, ça commence demain, je te rappelle après mercredi si j’ai quelque chose.
Décidément. Le timing des évènements n’est pas avec nous. On avale notre salive.
Le lendemain on se tape les fraises tout seuls et c’est tout de suite un peu plus dur, il n’y a que 4 rangs pas très longs mais on a le dos courbé. Les deux filles déguerpissent dans la matinée, bon débarras. Quelques tomates, quelques courgettes. Puis on passe à un job assis sur une chaise, on trie les fraises et on en mange un bon paquet. Et puis on lave les légumes dans une baignoire surélevée, puis on met tout ça dans des frigos. Et on fait à manger puis on fait la vaisselle qu’on a déjà fait pour le petit dej de 5h00, celui de 10h00 et au repas de midi. En fait on se la tape à longueur de journée, les deux petites connes avaient raisons au fond. On trouve nos hôtes sympas après tout, mais entre Sam qui ne perd pas une occasion de sortir ses nichons et l’exploitation « vaisselière » dont on fait l’objet, on se dit qu’on est encore tombé chez des fous.
La bonne nouvelle c’est que ce soir on investit le mobile home, beaucoup plus spacieux. Un vrai petit studio avec son bureau et son canap’ de fortune, la lumière n’est plus un néon mais une lampe de chevet sans abat-jour. On en fabriquera un nous-même avec un vieux magasine et du scotch. On respire.
Le lendemain, 4h30, tête dans le cul. Fraises, tri, lavage, courgettes, échalotes, basilic, thym, pommes de terre…Petit déjeuner. Ray est un peu éteint aujourd’hui, on le sent las. A midi on remarque que la relation entre lui et sa femme semble s’être détériorée dans la nuit, du coup l’ambiance générale est froide et tendue malgré les efforts de Sam pour nous parler avec le sourire, on sent bien qu’elle se force. On se demande s’ils ont une dent contre nous ou si c’est simplement une querelle interne. Evidemment on fait la vaisselle.
Le soir au repas j’enfonce le couteau dans la plaie en leur disant que c’est admirable de pouvoir vivre comme ça, avec des gens chez soi, de ne plus avoir d’intimité….
-Perso, j’pourrais pas le faire.
-Oui on apprend à l’accepter, on n’a pas vraiment le choix. Et puis pour les enfants c’est une très bonne expérience, ils apprennent à s’attacher et à dire au revoir.
-Oui oui c’est vrai…c’est bien.
-Au fait quand vous aurez le temps vous pourrez vous inscrire sur le site pour l’assurance ?
-Oui bien sûr, on va y penser.
-Merci, Bonne nuit.
-Ah oui et au fait Sue a appelé. Il y a apparemment un boulot d’empaqueteur de pommes qui commencera la semaine suivante, nous dit Ray.
-OK….on doit la rappeler ? (Tu comptais nous dire ça quand putain !)
-Non elle rappellera demain, ou vous la rappellerez demain.
-Mouais…Bonne nuit
Le lendemain 4h30, même routine. L’ambiance dans la maison ne s’est pas améliorée. On commence vraiment à se sentir en trop ici, pourtant quand la vaisselle est à faire, soudainement, il n’y a plus personne donc ils doivent être bien contents de nous avoir. Salopards, qu’est-il en train de se passer encore ?
Dans l’après-midi on rappelle l’agence et Sue nous dit qu’un travail nous attend pour le début de la semaine suivante et qu’il y’a même des maisons à louer chez l’employeur. Chez Ron Phillips. « Un très bon gars » que connait bien Ray :
-C’est à 10 minutes d’ici en voiture, nous dit-il.
OK. Plus qu’à attendre de récupérer cette damnée voiture et on peut se casser.
Merci Sue
Sam hante sa propre maison comme un fantôme, on range même les jouets des gosses après la vaisselle, pour ne pas se casser la gueule dessus, après tout on utilise leur wifi tous les après-midi (On capte beaucoup trop mal dans notre mobile home alors on squatte leur maison). Le soir on est de corvée pour le repas : lasagnes. On met le tout dans le four et on se retire dans nos quartiers de servants.
Au moment où Ray s’approche de notre mobile home, je sors la tête et lui demande :
-Alors, le diner est prêt ?
-Oui, enfin non, enfin je ne sais…
-Oui oui on sait, les lasagnes devrait être cuites dans 5 minutes, c’est nous qui sommes de corvée aujourd’hui, c’est dans le four mec. Qu’est ce qui se passe ?
-Ouais, en fait on a un problème avec Eva, on doit l’emmener à l’hôpital, ses aphtes lui font hyper mal et elle a de la fièvre, donc servez-vous et ne nous attendez pas…
-Ah, oops, mince, flute, ben bon courage…
Il faut dire que même si on savait que Eva était un peu malade, qu’on voyait bien quelques croûtes sur le côté de sa bouche et qu’elle n’arrêtait pas de chouiner et qu’elle ne nous montrait plus ses déguisements foireux, les parents ne nous avaient jamais parlé de ses aphtes ni du fait qu’elle allait aussi mal. On se dit du coup que l’ambiance était pourrie à cause de ça. Ils auraient pu nous informer merde, on habite ici aussi après tout, et on fait la vaisselle plus que de raison. Du coup on se sert du vin avec nos lasagnes et on joue au poker.
Quand ils reviennent de l’hôpital, ils nous disent que demain en fin de journée un anglais, un autre backpacker ayant accepté de venir dans l’enfer de la vaisselle, viendra nous rejoindre. Cool. Mais on appréhende maintenant toute nouvelle rencontre avec un peu de mauvais esprit. Sur qui allons-nous tomber ? Au moins il ne pourra pas parler en français devant Ray et Sam, mais ce sera sûrement un hippie comme tant de backpackers…
Le lendemain 5h00, tête dans le cul magistrale de Ray, normale chez nous, fraises, thym, patates, courgettes, basilic, échalotes, tomates…
Tous les quatre et Charlie qui court avec un tournevis dans la main, nous devons laver tous les fruits et légumes ramassés et les mettre dans ces boîtes en polystyrène en fonction des commandes imprimées pour leur ‘’marché’’. Quand on a fini, l’évier déborde de vaisselle et Sam qui nous a devancés, a déjà le sein à l’air. On a travaillé plus de 8h00 aujourd’hui sans même avoir entendu un « merci ». Non pas qu’on en ait vraiment besoin pour survivre mais même si leurs affaires vont mal et que leur fille a la bouche d’un fumeur de 75 ans, ce n’est pas une raison pour ne plus être gentil.
Alors on va se consoler en prenant une douche marron et puante.
Dans l’après-midi le téléphone sonne et c’est pour nous, c’est Ray le garagiste. Il nous demande de passer prendre la voiture qui est prête.
Notre Ray qui va chercher le backpacker anglais en ville nous dépose chez le garagiste.
Le mec nous explique qu’il a dû changer quelques bougies encrassées, qu’il a démonté la culasse et fait l’aplanissement, qu’il a dû changer les 6 écrous pour que la réparation tienne le coup, il nous dit que la pression est tellement grande qu’une fois les écrous enlevés, ils ne sont plus bons à rien…
En lui tendant une poignée de billets je repense à cette crapule de garagiste à Sydney qui évidemment a vu en nous les parfaits pigeons et qui a fait l’économie de ces écrous quand il l’a réparée et c’est cette même économie qui nous coûte aujourd’hui 1000 dollars.
Et ce garagiste à Grafton qui nous avait facturé des bougies neuves, les avait-il vraiment changées ?
Salopards…
Le reçu que le garagiste agite devant mes yeux m‘extirpe de mes pensées.
On ne le sait pas encore mais dans une semaine un des pistons qu’il a remis en place n’a pas tenu le coup et il nous redemandera 150 dollars pour ça. En espérant que ce sera la dernière fois cette année.
Une fois en dessous du seuil de pauvreté, on appelle Ron pour lui dire qu’on peut venir le voir.
On arrive devant sa maison mais il y a plusieurs bâtiments alors on tourne en rond, et un tout petit bonhomme de 75 ans sort d’une des maisons.
On s’arrête, il nous salue gentiment et commence à nous expliquer en quoi consistera le travail. OK. Je suppose qu’il nous fait déjà confiance. Il nous montre son « packing shed » fait de taule, de poutres métalliques et des tapis roulants bleu flashy. Puis il nous présente sa femme, Linda, avec ses dents de lapin, et son sourire un peu trop large. Ils nous montrent les 4 autres maisons, l’une d’entre elles est occupée par la mère de Linda et une autre par un type nommé Greg, qui loue ici depuis quelques années. Entre les maisons des rochers de granites émergent du sol fait de gazon bien entretenu, il y’a des cactus et des eucalyptus, c’est plutôt joli, même si les maisons ont l’air vieux et moche.
Et ils nous disent que si on veut louer une des deux autres maisons, c’est $140/sem. On monte une volée de marches jusqu’à une grande maison sur pilotis qui est généralement utilisée par ses travailleurs saisonniers, « mais il se pourrait que vous vous retrouviez a la partager » nous dit-il. Le frigo fait un bruit d’avion à réaction…
-Mais on a aussi cette maison en bas.
On redescend les marches pendant qu’il nous parle de la carrière de sa fille de 18 ans dans une agence immobilière en ville.
Il ouvre la porte d’une petite maison en béton sur 3 pièces et un living/cuisine de taille confortable. Ca sent un peu le renfermé et c’est un peu sale mais c’est récupérable et au moins on n’aura pas à la partager. De l’autre côté du mur de la chambre un petit studio qui sera occupé par une femme qui vient travailler seule pour la saison. Une semaine de location dans la seule auberge des environs vaut $190, mais il faut ajouter a ca l’essence pour aller au travail, les machines à laver payantes et la cuisine à partager avec une dizaine de hippies alors on a bien de la chance d’être tombé sur ce type qui nous loue une maison pas très chère et équipée. Notre patience a payé.
Marché conclu.
-On commence quand ?
-J’espère jeudi mais ça va être lent au début de toute façon. Je vous rappellerai.
On rentre chez les Palmers et on rencontre Aaron, le backpacker anglais. Il a une barbe de 5 semaines, l’air jovial et une valise à roulette rose qui évidemment ne tient pas la route sur le sol de sable.
Le premier truc qu’il nous dit dans son pur accent d’oxford saccadé c’est :
-Merde y’a pas de réseau ici ? Je vais aller voir plus loin si je capte. Damn it lol.
-T’es pas au bout de tes peines. Tu sais qu’on mange à 5h00 ici, aujourd’hui c’est Sam qui a préparé la bouffe. J’espère que t’aime faire la vaisselle ?
Il va chercher du réseau, sa démarche chaloupée rajoute à son accent. Il est gai comme un pinson. Au moins on aura quelqu’un avec qui se moquer des chiottes et de l’eau qui pue.
Le repas de 17h00 se passe relativement bien, mais on sent que le couple se force toujours, puis on rentre à nos caravanes. Aaron a apporté un cubis de vin blanc dégueulasse qu’il coupe à l’eau pétillante et nous en propose. On lui dit non merci.
On se rend compte qu’il est là comme nous pour renouveler son visa. Il habite à Brisbane avec son mec, un australien qu’il a rencontré au début de son séjour. Le seul moyen de rester avec lui pour l’instant c’est de finir les 88 jours d’enfer pour renouveler son visa. Il a vécu les mêmes galères que nous a Bundaberg d’où il est parti une semaine avant qu’on y arrive. Sa barbe n’est finalement pas une manifestation du hippisme, alors on s’entend bien et on passera notre temps à se moquer d’Eva qui ne se nourrit que de crème anglaise parce que ses parents ne lui refusent plus depuis maintenant 5 jours. On voit bien qu’elle fait la comédie devant eux. Elle peut manger solide maintenant, et elle passe aussi sa journée devant l’unique DVD qu’elle possède, une sorte de comédie musicale à faible budget, les chansons sont à vomir, on a presque envie d’arracher le cordon électrique de l’appareil au bout de la troisième lecture consécutive. Bref nos journées passent plus vite.
Le lendemain, 4h30, la tête dans le cul. Comme par hasard, il n’y a rien à faire, le tracteur de Ray est en panne, il devait préparer un champ pour planter des graines et puis finalement il nous demandera de mettre des pierres et du bois dans l’immense fossé qu’est devenue la route de sable après les récentes pluies. Apres 2 heures de dur labeur de castor, on ne voit aucune différence tant le fossé s’est élargi, alors on fume des clopes en se moquant encore de la petite famille.
Repas. L’ambiance ne s’est pas améliorée depuis qu’Aaron est là, au contraire personne ne parle. Sam continue de sortir ces nichons déprimés et continue de faire preuve d’une bipolarité bizarre.
Le dimanche on partira sur la route en vadrouille avec Aaron pour se changer les idées et tester la réparation faite sur la voiture.
Le soir, on se pavane devant nos caravanes. On est dimanche 23 janvier et dans la journée Ron Phillips notre nouveau boss nous avait appelé, mais Ray a ‘oublié’ de nous en parler dès qu’on est rentré. Donc à 20h30 on se retrouve à appeler le mec, évidemment pas de réponse, ils doivent être au lit ces gentils entrepreneurs australiens, ce sont des fermiers après tout. On laisse un message. On retourne à notre caravane. On continue nos discussions et au loin on entend le téléphone sonner, alors Cherryne saisie une bouteille d’eau pour faire mine d’aller la remplir et voir si ce n’est pas Ron qui nous rappelle. Et c’était lui en effet, Ray fait une drôle de moue en lui tendant l’appareil. C’est sûr que ça doit être dur de perdre deux bons gars qui font la vaisselle 36 fois par jour.
On a rendez-vous le lendemain à 8h00.
C’était moins une. Est-ce qu’il serait venu nous dire qu’on bossait le lendemain ou pas ? Bonne question.
Lundi, grasse mat, 7h30 et premier jour d’empaquetage de pommes, moi je les empile sur des palettes et Cherryne les emballe avec 3 autres filles sur ces tapis roulant flashy. Ça n’a pas l’air dur. Ron nous dit que ce sera lent au début mais que ça va s’accélérer et qu’il y aura bientôt une grosse dizaine de travailleurs. OK.
Le syndicat des empaqueteurs de pommes s’est occupé de nous fixer un salaire minimum. Le travail reprend jeudi.
Les deux jours suivants on les passe chez les Palmers contre trois carottes, gentils comme on est on leur avait proposé de les aider pour leur marché de mercredi puisqu’on ne travaillera pas chez Ron et qu’on part un peu abruptement. Ça nous permet aussi de revoir Aaron avant qu’il regagne à son tour la vraie vie.
On emménagera définitivement chez Ron le mercredi 26 janvier.
C’est la fin de notre période de captivité chez les culs terreux.
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on January 12, 2011
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