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L'homme qui a vu l'homme qui a vu l'ours
Grandes-Bergeronnes
,
Canada
Depuis Mashteuiatsh sur le bord du Lac Saint Jean, je rejoins Chicoutimi et je redescends vers le Saint-Laurent via la rive nord du Saguenay (jetez un coup d'oeil sur la carte là-haut pour vous faire une idée). La Highway 70 que j'emprunte n'a que quelques années. Auparavant, il fallait redescendre sur la rive sud et aller chercher le "traversier" pour passer le fjord entre Baie-Sainte-Marguerite et Tadoussac. Outre que ce nouvel itinéraire me fait gagner près de trois heures, cette route est incroyable. Elle traverse les étendues sauvages comme un fil à couper le beurre, englouti par ce qu'il est sensé trancher. Mon bandeau d'asphalte, rayé de ses deux lignes jaunes, se déroule à l'infini, longeant des rivières à saumons, sillonnant entre les bouleaux et les épinettes noires, croisant des myriades de lacs et filant à l'ombre de falaises dessinées par les géants.
MUSE hurle à tue-tête dans le petit habitacle climatisé de ma bouse-mobile et j'ai une pensée émue pour les explorateurs, les trappeurs et les forestiers qui m'ont précédé ici, y ayant sans doute, pour beaucoup, cassé leur pipe. J'imagine leur surprise en tombant sur un lac poissonneux, leur hantise de ne pas pouvoir traverser une rivière, leur peur constante des grands prédateurs et l'angoisse de leur décompte du temps : non pas en km à couvrir, mais en provisions restantes...
En attendant, moi je roule à 130 décibels et je m'abîme dans le paysage. Je m'émerveille de cet effet d'optique hypnotique où on ne sait plus si c'est la forêt qui dessine le contour des lacs, ou l'inverse...
J'étais fatigué en partant et je renâclais à l'idée de ces trois heures de voiture (ma dose quotidienne pour ce voyage). Pourtant, elles se finissent trop vite, ces 3h, et c'est avec amertume que je vois poindre les premiers signes d'une agglomération (l'amertume d'un type qui ne s'est jamais soucié de tomber en panne d'essence ou de crever de faim et de froid dans les bois, soyons honnête quand même ;o).
Grandes-Bergeronnes est un bled de deux mille âmes qui s'étale sur 15km de rayon. Mon GPS n'a jamais entendu parler de sa Rue Principale et au bout d'une demi-heure, j'en reviens à la bonne vieille méthode de "demande ton chemin au voisin". Encore pour cela faut-il trouver un passant, ce qui me prend vingt minutes de plus...
"Le Gîte Les Petits ? Mais tu peux pas rater mon ami. C'est en face l'église !"
Et effectivement, c'était en face.
Fallait que je sois con pour pas y penser !
Hier Claude (Robertson) et ce soir, c'est Jean-Claude (prononcez Jànclôd) qui m'accueille en me lançant un joyeux "Tertan un bus".
Notre duo comique fonctionne à merveille : je suis concentré pour ne surtout pas paraître discourtois avec un de ces québécois si poli, et lui me répète trois fois son borborygme, très fier de lui devant ma gueule ahurie, avant de me traduire et de m'expliquer sa belle expression "idiomatique". Tertan un bus (comprenez en bon français : "Tire t'en une bûche") fait référence à l'époque où il n'y avait pas de chaise pour tout le monde dans les cabanes du canada et où le maître de maison invitait ses hôtes à attraper une bûche près de la cheminée pour s'asseoir dessus... C'est quand même pas compliqué, putain, de dire simplement : "je vous en prie, asseyez-vous", non ?
Pardon, c'est le parisien qui revient et c'est d'autant plus malvenu que Jànclôd est une crème d'homme. Il commence par me vendre un plan pour aller voir les baleines au cap-de-bon-désir, une réserve naturelle payante, mais qui ferme à 18h et à laquelle on peut accéder par un sentier dérobé ("Ca vâ t'fer sôver des coûts, tu compRàn"). Oui, je comprends très bien, mais je suis scotché dans le canapé parce que Jànclôd, qui a senti mon intérêt pour les ursidés, a décidé de me raconter LA rencontre-avec-un-ours-qui-a-changé-sa-vie.
Malheureusement, vous, vous ne saurez jamais le fin mot de l'histoire parce que, même avec le triple du talent de conteur auquel j'aimerais pouvoir prétendre, je n'arriverais pas à la cheville de Jànclôd quand il raconte son aventure en se caressant le menton avec sa main droite où il manque deux phalanges...
Des ours plein la tête, je prends donc le chemin du cap-de-bon-désir en espérant voir des baleines. Je n'en aperçois pas le bout de la queue d'une. Et je me pèle de froid. Parce qu'au cap, il souffle un vent à décorner les orignaux. Ceci dit, ce n'est vraiment pas grave, le paysage est époustouflant. Le soleil rasant sertit la forêt d'émeraude, enflamme les rochers roses sous mes pieds et nimbe d'or les eaux du Saint-Laurent. Ca valait le coup de risquer la pneumonie, avec ou sans baleine !
Lendemain matin, réveil aux aurores (le soleil se lève à 4h du mat et les québécois n'ont pas de volet "pasque fô emmâgâziner la vitdâmine D avàn l'hiver" m'explique mon hôte). Petit-dèj fabuleux servi par mon ami Jànclôd avec un tablier très français (du moins il trouve). Et v'là t'y pas qu'on r'parle des ours parce que Jànclôd a pensé qu'ça m'intéresserait p'têtre d'en voir avec un guide en forêt. Ysait q'y font çâ lâ et ça s'rait p'têtre une bonne idée.
Tu parles que ça serait une bonne idée !
UN coup d'oeil sur la carte routière et je change mon programme fissa : je reste là ce soir et je me ferai les deux étapes de routes suivantes dans la journée de demain ! En attendant, faut que je me magne d'aller voir les baleines parce que le bateau ne va pas m'attendre.
Je fais trois fois le tour de Tadoussac et je visite trois quais d'embarquement avant de tomber sur le bon, mais je finis par trouver la compagnie AML.
Ils nous équipent comme pour passer le cap Horn et je commence à flipper pour mon bel apareil photo tout neuf. Aujourd'hui cependant, il n'y a pas un poil de vent (du jamais vu) et le Saint Laurent est une vraie nappe d'huile lisse comme la surface d'un miroir. Du coup, les baleines se voient de loin. Pourtant, l'expérience n'a rien à voir avec ce qu'on a vécu en Argentine.
D'une parce que les rorquals sont plus petits, deux parce qu'ils ne sortent que très rarement leur queue et surtout parce qu'il n'y a pas de baleineaux joueurs pour faire des cabrioles.
Bref, je n'ai pas le sentiment d'avoir rencontré un alien du fond des mers (même si les belugas sont très beaux) mais juste d'avoir aperçu, de loin, des nageoires dorsales (bleues pour les rorquals, blanches pour les belugas).
Ceci dit, ce n'est pas trop grave parce que l'autre moitié du spectacle est assurée par le Captain' Bernie. Un québécois qui en plus d'avoir de la gouaille (s'il était là, il ajouterait sûrement à destination des dames qu'il n'y a pas que sa langue qu'il n'a pas dans la poche), en plus de son bagout donc, le capitaine a fait du sauvetage en mer pendant 20 ans chez les gardes-côtes. Alors les croisières à la baleines sur un Saint Laurent plat comme un lac, il le dit lui même, il trouve ça un peu chiant. Et il préfère faire le con avec son zodiac.
Ce qui inclut le slalom dans le sillage des gros bateaux pour faire demi-tour en trombe et rebondir sur ses propres vagues. Ca inclut aussi bien sûr LA manoeuvre qui fait la renommée de Captain'Bernie sur toute la côte nord : lancer les deux moteurs de 500 chevaux à donf et pousser le gouvernail en butée. Trois tours dans un sens où le zodiac gîte à 45° puis trois tours dans l'autre, histoire que les passagers sur chaque bord bénéficient successivement de la vue plongeante de fête foraine puis de la vue panoramique à 1080°. Et il faut bien reconnaître que ses cabrioles en jettent gravement sous les falaises du fjord, ou
sous la "chute du caribou qui pisse" (les québécois sont des poètes, les fans de charlebois le savent).
Puis vient l'heure tant attendue du "safari aux ours".
17h45 : j'enfile mes sous-couches polaires et je me tartine d'anti-moustiques
17h55 : je prends la voiture et je fais 20 km jusqu'au domaine des ancêtres (lieu de départ du périple).
18h10 : l'orage gronde
18h15 : on embarque dans les 4x4 pour une demi-heure de route alors que l'orage éclate et qu'un déluge de flotte s'abat sur nous. Ca promet, mais y paraît qu'on et à l'abri sur place...
18h45 : la pluie s'est arrêtée comme par magie et on débarque des 4x4 pour 20mn de marche sur des sentiers détrempés (les allemands en chaussettes et sandales déchantent. Ca leur apprendra à s'habiller comme des culs !)
19h05 : on s'installe dans l'observatoire construit à la dure en bon vieux bois qui fait mal au cul des allemands (juste par qu'ils m'énervent). Un ruisseau qui coule au fond du vallon nous sépare du flanc de colline où passe LE sentier d'ours (les ursidés empruntent des chemins "balisés" pour faire une douzaine de km par jour) et où les pisteurs ont déposés un appât pour les arrêter dans leur pérégrination (une douzaine de donuts au miel !).
19h25 : le bal des écureuils commence, les squirels viennent chercher leur part du festin.
19h55 : un jai bleu vient nous divertir.
20h15 : les moustiques attaquent.
20h35 : les lièvres s'invitent à la fêtent.
20h55 : celui qui est responsable de l'éclairage, baisse le chauffage en même temps qu'il tamise la lumière.
21h25 : toujours pas d'ours
21h35 : la nuit tombe, ça fait deux heures qu'on se gèle le cul (surtout les allemands !) dans cet observatoire pendant que les moustiques nous assaillissent par vague, et le guide est bien obligé de sonner la retraite, la queue entre les jambes.
J'y gagne un ticket gratuit pour la prochaine fois et j'envisage sérieusement de changer à nouveau mon programme pour revenir.
En somme, je suis l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'ours... Un bel euphémisme pour dire que je suis juste le con qui n'en a pas vu !
Tu me diras, les allemands non plus, et ça, ça me fait plaisir. Si z'avaient pas mis des sandales, ces crétins, je suis sûr qu'on l'aurait vu l'ours...
J'échoue à Tadoussac qui repose tranquillement sous la pleine lune. Le Café Bohème où j'ai mangé ce midi est l'endroit idéal pour écrire ce post pendant qu'une jolie autochtone chante qu'elle "a peur de perdre le contrôle".
Ma pauv'chérie, moi j'ai juste les boules de ne pas avoir vu l'ours !
http://picasaweb.google.fr/microsam/RouteDesBaleines?authkey=Gv1sRgCNK1942XqsDZQA#
written by
Sam
on June 5, 2009
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Sam au pays des caribous
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