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Sam


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Sam au pays des caribous

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Né barbu
Grandi en rêvant de faire des avions
Tombé dans la finance
Tout lâché pou écrire des romans


I'm back Tabarn...

Roissy-en-Brie, France


Me voilà de retour dans un Paris tout gris, mais toutes les bonnes choses ont une fin et ce voyage restera comme une aventure exceptionnelle.
Ce n'étaient pas des vacances, j'étais écrivain en vadrouille. Je ne dépensais pas mon argent comme un touriste, je l'investissais dans une entreprise personnelle. Un état d'esprit pas si facile à maintenir d'ailleurs. On marche en équilibre au bord d'un précipice de culpabilité quand le conditionnement martèle sans cesse combien il est déraisonnable de dépenser ses économies en futilités alors qu' on n'a pas de revenus. Pourtant cette alchimie a bouleversé la façon dont j'ai vécu ce voyage. Elle a transformé le plomb en or comme si la vraie liberté n'était pas de ne plus avoir besoin de compter, mais bien de s'autoriser à dépenser chaque sous comme le dernier. De vivre dans la valeur de l'instant, plutôt que dans la peur de l'avenir.
Je rentre avec des valises pleines d'expériences inoubliables et de vraies rencontres. Je me suis frotté à la nature sauvage du Canada, ses forêts, ses falaises, ses lacs et ses cascades. J'ai rencontré l'ours, le loup et l'orignal dans leur milieu naturel. J'ai découvert la simplicité chaleureuse des Québécois et leur attachement viscéral à cet environnement. Autant d'inspiration brute que je mets en conserve pour plus tard.
Mais ce n'était qu'une des composantes de cette expérience. car je n'ai pas fini de maturer la richesse des échanges qu'on a eus, à chacun de mes passages à Montréal, avec Antoine et Gwen. Sans eux, tout ça n'aurait sans doute pas eu lieu (parce qu'ils en ont été le prétexte) et n'aurait de toutes façons pas pu se faire dans ces conditions.
J'ai d'ailleurs un peu honte d'être arrivé juste avec deux bouteilles de champagne qu'on a fini par siroter ensemble et de repartir avec un T-shirt (qui m'évitera de jurer le jour où les aliens débarquent) et un dream-catcher (qui pourrait me sauver la mise le jour où les zombies attaquent). Mais qu'à cela ne tienne, il en va des remerciements comme des blagues, les plus courts sont les plus réussis. Donc merci.
Quant à la dernière composante qui a rendu cette expérience si spéciale, c'est vous. Ecrire ce blog m'a singulièrement laissé profiter des saveurs de la solitude sans l'arrière-goût de l'isolement. Le simple fait de pouvoir partager mes journées au fil de la route remplissait le silence de ma retraite d'un millier de présences.
A de multiples égards, la fin de ce voyage est un autre départ...


permalink written by  Sam on June 22, 2009 from Roissy-en-Brie, France
from the travel blog: Sam au pays des caribous
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Mooses on Mizzy Lake and Gramon's Shoot

Cobden, Canada


L'interpretative trail (traduisez sentier d'interprétation) du Mizzy Lake est une boucle de 11km (avec une option à 15) particulièrement intéressant pour l'observation de la faune. Les gardes forestiers du parc l'évalue à 6 heures de marche.
J'avais longuement hésité, la veille, à louer les services d'un guide spécialisé (photographe professionnel) pour réussir, enfin, à fixer les Mooses sur la pellicule. Mais le prix de cette affaire m'en a gentiment dissuadé : 160$ les 3h pour prendre en photo une bête brune qui ressemble vaguement à un croisement entre un cheval et une vache... Trop c'est trop.
J'ai donc décidé de me lancer seul, et à pieds, en quête du roi de la forêt canadienne. Initialement, j'étais d'ailleurs très motivé pour me lever avec le soleil, histoire d'accroître mes chances. Sauf que le réveil n'a pas sonné. Je dois être sous le coup d'une malédiction, un shaman montagnais m'a jeté un mauvais sort, ou alors c'est l'esprit du caribou qui me rejette. Toujours est-il, que je pars finalement à 10h avec l'affreux pressentiment (que ne compense guère mon surplus de repos) que je ne vais encore PAS voir le Moose.
Mizzy et Dizzy lakes sont deux lacs jumeaux transformés par le travail des castors. Imaginez une gadoue fangeuse parsemée d'arbres morts où croassent des centaines de crapauds et où flotte un épais brouillard de... moustiques ! Il y en a tellement que si j'ouvre la bouche, je fais le plein de protéines pour la journée. Heureusement, ce matin je me suis parfumé au DEET et je fends la nuée comme un souffle de napalm. La bombe ne quitte d'ailleurs pas la poche de mon treillis, toujours à portée de la main, parce qu'il faut dégainer très très très vite dès que l'action du cocktail chimique décline. En comptant 5ml de sang prélevé par moustique, il suffit de 5 à 6 mille insectes pour me vider de mon sang. Ca vous paraît énorme ? Pour info, les brochures du parc algonquin (très bien faîtes par ailleurs) évaluent la production d'un m² de lac à... 20 000 moustiques !!!! Et je vous épargne la surface totale productive dans le parc.
Bref, seul dans le bouâ, au milieu de cette horde de vampires, je dois rester prudent et m'asperger très régulièrement de mon cocktail insecticide.
Après deux bonnes heures de marche, j'approche du bien nommé Moose Lake... sur lequel je ne vois évidemment aucun herbivore brun en train de bouffer ces nénuphars. Seule consolation, la densité de moustiques au cm3 baisse suffisamment pour me laisser respirer, mais je commence à croire que je n'arriverai jamais à prendre en photo le grand élan d'amérique dans son milieu naturel. Pourtant, ils sont partout autour de moi.
Je vois leurs traces fraiches dans la boue, je suis la piste de crotin qu'ils laissent derrière eux, j'entends même parfois leur câle (un espèce de brame rauque) et je sens monté l'ivresse de la chasse, la tension de la traque. D'ailleurs, je suis tellement focalisé sur la ligne d'horizon des berges de lac à la recherche des grosses bêtes brunes que j'en oublie de regarder où je pose les pieds. Et je marche quasiment sur des serpents, des perdrix ou des tortues.
Je croise deux gardes forestiers qui sont justement là pour mener une étude sur les petites tortues du parc. Leur façon de les taguer est assez marrante (ils leurs peignent un n° sur la carapace), mais ce qui m'intéresse surtout c'est le tuyau qu'ils me refilent : il y une grosse femelle en train de brouter à une centaine de mètres sur le lac de droite.
Avançant à pas de loup, retenant mon souffle, je me faufile entre les sapins et je fixe sur les capteurs de mon reflex une micro-tâche brune ! Ca y est. La photo ne donnera rien parce qu'elle est trop loin, mais je l'ai fait !
En réalité, ce n'est que le début. Je croise un jeune mâle sur le lac suivant, à peine à plus de 50m de moi. Et 1h de marche plus tard, je tombe sur un couple en train de patauger à moins de 30m. Ils sont tellement cools que quand je m'approche en suivant leurs traces jusqu'à m'enfoncer de 15cm dans la vase, ils m'observent avec leurs grands airs supérieurs, mais ne se déplacent pas d'un mètre.
Du coup, je canarde comme un paparazzi devant une star endormie. Et au bout de deux cents photos, je me dis que j'ai mon compte pour la journée. J'éteins donc mon réflex dont les batteries marquent des signes de fatigue, je remets le cache sur l'objectif, je me passe la bandoulière autour du cou (au cas où je me casserai la gueule dans la vase) avant de faire demi-tour.
Et c'est là, alors que je suis en déséquilibre, les mains prises et l'appareil photo impossible à dégainer, qu'un énorme mâle sort de l'orée de la forêt par le sentier que j'ai emprunté pour descendre. Il se tient à moins de trois mètres et il me défie du regard comme si il voulait me faire comprendre qu'ici c'est chez lui, que le roi c'est lui. Et puis, lentement, il se détourne et disparaît.
Je n'ai même pas essayé d'attraper mon reflex, mais je m'en fous, je sais que je suis réconcilié avec le Grand Esprit du Caribou.
Planant comme un brave qui a croisé son animal totem en fumant le calumet, je décide de me rallonger de 4km pour aller observer un nid d'ours. Ici, les baies sont moins abondantes que sur les rives du Saint-Laurent, les ours grimpent donc dans les frênes pour en boulotter les fruits. Pour ce faire, ils s'installent sur une fourche solide de l'arbre et ils plient les branches plus fines pour choper leur pitance. Au passage, ils en cassent énormément qui s'accumulent sous eux à la manière d'un espèce de jeu de mikado qui évoque effectivement un nid d'oiseau. C'est assez impressionnant à voir mais il n'y a pas d'ours à l'entour.
Cette fois, la batterie de mon appareil photo est définitivement morte. Je reste cependant très zen parce qu'elle m'a laissé le temps de prendre les mooses en long, en large et en travers. Ca c'est mon état d'esprit avant de croiser la marte noire. Elle fait la taille d'un chat, avec un pelage noir de suie et deux petits yeux blancs. Elle est recroquevillée sur un tronc d'arbre mort et m'observe, aux aguets. Au bout d'une minute trente, il faut pourtant bien que je reprenne ma respiration et elle détale comme l'éclair. J'aurais pu faire une photo à pleurer...
Je marche depuis 5 heures, j'affiche 15km au compteur, et il est grand temps d'aller manger un hamburger !
Après quoi, je rentre tranquillement chez moi, je me fais couler un jacuzzi et je réfléchis à l'organisation de ma journée du lendemain.
La seule chose que je n'ai pas encore faîte pendant ce voyage, et dont je rêvais, c'est de descendre des rapides comme le dernier des mohicans avec son canoë. Or il se trouve qu'il y a un très gros site de rafting sur la rivière Ottawa, à peu près à mi chemin entre ici et Montréal.
C'est décidé ! Je pars d'ici à 6h demain matin, je fais les 215km qui me séparent de Foresters Falls et je suis à 8h30 au départ du High Venture Rafting Trip.
6h de folie dans les rapides et je repars à 16h au plus tard pour faire les 300 derniers kilomètres qui me ramèneront à Montréal.
Le timing est très serré. Tellement serré d'ailleurs que je n'ai pas le temps de m'arrêter pour prendre en photo les lacs du parc algonquin au lever du soleil (une féérie de lumière et de vapeur immanquable si vous y passer un jour. Il FAUT absolument faire l'effort de se lever avec le soleil au moins une fois !).
J'arrive avec une demi-heure de retard sur le site de Owl Rafting, l'outfitters company qui organise mon excursion, mais heureusement, j'avais réservé et ils m'ont attendu.
Il fait 25°C, l'eau est à 15°c, mais je choisis quand même l'option combinaison intégrale (et au bout de six heures dans la flotte je ne le regretterai pas bien que la première demi-heure, je rôtisse comme un poisson en papillote).
Je suis à bord d'un long boat (bateau de 16 places où le stiring man dispose de deux longues rames sur cales pour contrôler l'embarcation) par opposition aux sport boat (huit places et juste une pagaie pour le stiring man). Les seconds peuvent passer dans des rapides plus étroits et surfer plus facilement sur les vagues, mais ils sont aussi beaucoup moins stables. Deux des sports boats qui font partie du convoi se retournent en cours de la descente.

Hors de question, évidemment, d'emmener un appareil photo, je ne peux donc pas vous illustrer la taille de la rivière Ottawa plus large que la loire et sans doute bien plus profonde), la puissance de ces rapides et de ces mini-chutes (tous les deux cents mètres la rivière tombe de 2,3,5 ou 10m) et la beauté de ces paysages (naviguer en eaux vives entre ces dizaines d'iles n'a rien à voir avec ce que j'ai vu sur les lacs).
Les rapides sont répertoriés, cartographiés et codifiés en fonction de leur difficulté et du niveau d'eau. Le plus violent qu'on ait descendu était de niveaux 5 sur une échelle de 7. Il s'appelait Gramon's Shoot. Et les sports boats sont passés par un level 6 baptisé Elevator Shaft. Les noms des rapides parlent d'eux-mêmes. On a descendu le Iron Chains, le Death Row, puis le Dragon's Tongue avant d'arriver au Gramon's Shoot, de continuer sur le Lord ! No Name et de finir avec le Blind Mascarade.
Après le Dragon's Tongue, on a fait une étape pour faire de la nage en eau vive. Casque sur la tête, gilet de sauvetage bien calé et combinaison bien fermé, on se laisse glisser sur le dos, les pieds en avant dans certains rapides où le niveau d'eau est suffisamment élevé.
C'est génial, mais épuisant parce que dès que le rapide est passé, il faut nager comme un dératé vers la berge pour ne pas se faire emporter par le courant dans le rapide suivant. Et personne n'a envie de descendre le Gramon's Shoot en nageant !
Comme j'aime vraiment ça, je me fais trois fois la nage en eau libre, la quatrième étant suicidaire compte tenu de ce que les trois premières ont pompé dans les réserves d'énergie...
Une fois enquillés nos six rapides, un bateau nous attend pour rejoindre
tranquillement le site de Owl Rafting. Les barbecues sont installés sur le pont, nos affaires sèches ont été ramenées là et on passe les trois-quarts d'heure de traversée à admirer le paysage en bouffant des saucisses grillées au soleil. Le bonheur.
Après l'accostage cependant, je ne m'attarde que le temps de prendre ue bonne douche parce qu'il me reste trois bonnes heures de route pour rejoindre Montréal et que je me sens pas mal fatigué quand même.
J'y suis arrivé sain et sauf. J'écris ce post depuis l'appart de Gwen et Antoine, sachant que le prochain (post) sera sûrement écrit de Paris pour vous confirmer qu'Air France a bien changé tous ses capteurs de vitesse et que je ne me suis pas crashé dans l'Atlantique

http://picasaweb.google.com/microsam/MizzyLake?authkey=Gv1sRgCKuY-vK5x8nFigE#


permalink written by  Sam on June 20, 2009 from Cobden, Canada
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La loi des séries

Huntsville, Canada


Tout a commencé par une très mauvaise série pour se finir, heureusement, par une très bonne série, dans un tout autre genre...
C'est Nicole qui a entamé la mauvaise série avec son accent si subtilement british. Comme plusieurs fois déjà depuis le début de mon séjour, je me suis permis de lui demander un late check-out puisque je comptais reprendre la route pour le parc Algonquin depuis Ottawa vers 15h. Jusqu'ici, ça n'avait jamais posé le moindre problème car la saison touristique n'a pas encore vraiment commencé et le B&Bs affichent rarement complet. Pourtant cette fois, Nicole a le regret de ne pas pouvoir accéder à ma demande. C'est dit avec un sourire soigné comme un jardin anglais plein de roses qui piquent : ça ne prête pas à discussion, les folowing guests arrivent justement à 14h...
Qu'à cela ne tienne, je me contenterai juste de laisser mes bagages quelque part et de pouvoir accéder à internet depuis le salon victorien entre 12h et 15h (j'espère pouvoir catcher Anne sur Skype et écrire mon post du jour).
Le visage de Nicole se fige sur une expression qui exprime la parfaite compréhension de ma situation et la volonté profonde de trouver une solution à mon problème. Je quitte donc l'Auberge du Marché serein et j'y reviens à midi en ayant récupérer ma voiture au stationnement public pour la garer juste devant le 87 Guigues Ave (le stationnement n'y est autorisé que deux heures, mais je compte, en bon français, qu'une heure de rab ne fera pas grande différence).
Je m'installe dans le canapé de velours vert, comfy à souhait. Je passe par les toilettes, à côté de ma chambre, qui est toujours vide. Je branche mon ordinateur, je me connecte à internet, je surfe un peu en attendant Anne et j'établis la communication.
Pendant tout ce temps, Nicole me tourne autour comme une fouine dérangée par un intrus sur son territoire. Et puis finalement, à 14h30, elle est absolument désolée de devoir m'annoncer qu'elle avait oublié son rendez-vous chez le dentiste et que par conséquent, elle doit "quitter". Ce qui veut donc dire évidemment que moi aussi. Mais elle est tellement prévenante, qu'elle m'indique un café au coin de la rue où internet est en "free wireless illimited access".
Tandis qu'elle me fout dehors en fermant la porte derrière elle, avec des manières absolument irréprochables, j'hésite à lui faire remarquer que d'une part son mari est resté dans la maison et que d'autre part ses "guests de 14h" ne sont toujours pas là. Mais je préfère ne pas ouvrir le débat parce que j'ai peur de ne pas résister à l'envie de "débotoxer" son sourire figé à la cire.
Je me réfugie donc à l'Honest Lawyer (rien que ça, ça aurait dû m'inquiéter). L'oxy-moron est un troquet écolo-végétarien-équitable où le seul "carbonated beverage" available est l'Orangina, trop sucré à mon goût. Aussi je lui préfère une "organic lemonade", qu'ils ont dû faire infuser dans le sucre (non raffiné bien sûr) tellement elle est sweet.
Peu importe je suis là pour internet alors je me contente de prendre le ticket de ma lemonade imbuvable sur lequel sont inscrits mon login et mon password aléatoires.
Je travaille consciencieusement pendant une bonne heure (ce qui me met déjà en retard d'une demi-heure sur mon planning) pour vous écrire un post passionnant sur Ottawa. Mais au moment de sauvegarder, je me fais sauvagement déconnecter et je perds tout ce que j'ai écrit ! Le ILLIMITED free access est une publicité iniquement mensongère car les accounts ne restent valides qu'une heure. Mais bien sûr, ni Nicole, ni cette neuneu de serveuse n'auraient jugé bon de me prévenir... JE DETESTE DEFINITIVEMENT LES ANGLOS et les lawyers honnêtes, ça n'existe pas !
Je n'ai malheureusement ni le temps de faire un scandale, ni celui de rattraper le coup. Il faut que je me mette en route rapido si je veux arriver au Parc Algonquin avant la nuit.
En arrivant à ma belle voiture toute neuve, qui est garée là depuis 2h48mn, j'ai le plaisir de découvrir une amende. Une superbe "fine" anglophone sous mon essuie-glace, sortie tout droit de la machine, sans la moindre lettre manuscrite. A croire qu'ils m'ont repéré par satellite, ont imprimé le papillon et l'ont balancé sur mon pare-brise depuis un hélicoptère. A ce stade, mon humeur devient franchement délétère et ni Dépèche Mode, ni REM, ni U2 (qui me gueulent leurs pop songs anglophones dans les oreilles) n'arrivent à me dérider.
D'autant qu'au bout de 3h30 de route, je découvre avec horreur le Wolfden Bunkhouse. Soucieux de faire des économies, j'ai suivi les conseils du Lonely Planet qui recommandais chaudement cet hôtel de Backpackers à 40$/nuit. Sauf que l'endroit est glauquissime : des vieux chalets en bois, installés au bord de la Highway, sans eau ni électricité ni évidemment internet (toutes les commodités, sauf le réseau, sont dans la bâtisse centrale). Le détail qui m'achève, c'est que je suis le seul client et que même le personnel se barre le soir.
Pas question de rester là-dedans, je me suis suffisamment fait pourrir ma journée. Au diable l'avarice, j'ai l'intention d'inverser méchamment la vapeur !
15 mn de route plus tard, je trouve l'Algonquin Inn. 100$/nuit, mais pour ce prix, j'ai internet, une salle de bain privée, une terrasse sur le Oxtongue Lake et, cerise sur le sunday : un jacuzzi dans ma chambre.
DEAL ! Je mange une 1/2rib au barbecue et je passe une bonne partie de la nuit à réécrire mon post sur Ottawa.
C'est la première fois de ce voyage que je pose mes valises pour trois nuits d'affilée. C'est la fête et du coup, ce matin, je lézarde un peu au lit.
C'est une petite marte, jouant avec un papillon sur ma terrasse, qui m'arrache à ma couette. La mignonette n'est pas vraiment farouche, mais elle est tellement rapide que je peine à la prendre en photo (ou peut-être est-ce moi qui suis encore dans le colletard).
Je me douche pépère, puis je prends le temps de répondre à mes mails, en caleçon sur le bord du lac (vive le wifi !), avant d'aller voir les Ragged Falls.
J'ai vu plus impressionnant depuis que je suis ici, mais cette petite heure et demi de marche pour remonter la rivière Oxtongue commence à me faire oublier les péripéties de la veille.
Après quoi, je prends la direction du Canoe Lake où se trouve le Portage Store, un des deux Outfitters (comprenez organisateur d'excursion) à l'intérieur du parc. J'en profite pour manger un hamburger aux petits champignons frits, surprenamment bon pour un endroit de ce genre.
Etant seul, je me joins à un groupe de pagayeurs qui partent à 13h pour essayer de voir des Mooses (comprenez orignaux). Une famille française (les parents plus deux enfants) installée à Washington depuis un an et qui passe quelque jours au Canada avant de rentrer en France.
Au départ, j'essaie de squatter le canoe du guide, mais froggy-mumy préfère installer son fiston en sécurité avec le guide. Grand seigneur, je m'incline et je me retrouve à pagayer avec maman Myriam. En canoe, le choix du paddling-mate fait la différence entre une ballade pépère et une galère de misère. Or là, je suis tombé sur le gros lot. J'ai une vrai tête de vainqueur.
Myriam jacasse comme une pie jusqu'à ce que je lui fasse remarquer que les Mooses ne sont pas sourds. Elle passe alors en mode sourdine, mais ça ne fait pas taire ses enfants pour autant. Pas le choix donc, il faut que je pagaie en tête de l'expédition si je veux avoir une chance d'apercevoir un orignal avant qu'il nous entendent arriver. Et c'est là que je découvre la deuxième faiblesse de Myriam : elle est mono-task. Elle ne peut non seulement pas pagayer en parlant, mais apparemment elle ne peut pas non plus pagayer en regardant le paysage.
A force nous voir toujours en tête cependant, et de sentir la poussée qui vient de l'arrière à chaque coup de pagaie où je m'arrache les bras, elle finit quand même par se sentir mal à l'aise et se décide à faire usage du morceau de bois qui lui encombre les mains. Et déjà, je le regrette parce que, d'une part, elle n'a pas compris que tremper sa pagaie dans l'eau ne sert à rien si la vitesse de son geste ne dépasse pas celle du bateau par rapport à l'eau et que, d'autre part, le skill critique en canoe c'est la capacité à ramer droit et à ne pas gaspiller son énergie en slaloms erratiques. Or le coup de pagaie de Myriam, pour inutile qu'il soit en terme de propulsion, est très efficace en terme de changement de direction aléatoire. Si je ne fais pas attention, elle pourrait même réussir à nous foutre à la baille. Surtout quand le vent se lève et qu'elle se met à gigoter pour éviter de se faire éclabousser par les vagues. Elle ne peut évidemment pas ramer ET esquiver le clapot, mais au moins, pendant ce temps-là, j'arrive à contrôler notre canoe sans y laisser un bras à chaque fois.
Evidemment, on n'aperçoit pas le moindre orignal. Et honnêtement, j'en chie comme un vrai galérien. Mais je m'en fous : j'entretiens mon moral de Mohican en pensant à mon jacuzzi.
Dans cette excursion prévue pour 6 où nous n'étions que 5, on a dû se partager le coût de la personne manquante : 4/5 pour la froggy-family et 1/5 pour moi, mais j'aurais franchement rien dû payer en plus, voire leurs faire payer le transbahutage de leur empotée de mother. Sa seule contribution positive à la ballade fut de se faire attaquer par une mouette, ce qui m'a permis de prendre quelques belles photos.

Après ces quatre heures d'enfer, j'ai les bras et le dos en charpie, mais définitivement pas envie de finir ma journée là-dessus. Je n'attends donc pas l'arrivée des deux autres canoes qui sont encore loin derrière nous et j'abandonne Myriam sur le quai pour aller voir les Whiskey Rapids (1h30 de marche).
3km de voiture plus tard, je me lance dans le sentier, la fleur au fusil. Sauf qu'après 20mn de marche, les femelles moustiques attaquent et je découvre avec horreur que j'ai laissé ma bombe d'insect-écran dans la voiture. Mais je m'en fous, je suis un Mohican et le jacuzzi m'attend en rentrant. Ceci dit mon moral de brave ne protège pas des maquerelles vampires qui veulent à tout prix me sucer. En quelques secondes, je compte déjà au moins une dizaine de piqures. Si je ne veux pas finir boursoufflé et vidé de mon sang, il faut agir vite. Malgré la moiteur étouffante de l'orage qui menace, j'enfile donc ma polaire, je mets ma casquette, je fourre les mains dans mes poches et j'avance tête baissée. Jacuzzi, ô jacuzzi, pensè-je en transpirant comme un goret. Mais pas question de ralentir l'allure. Au moindre arrêt, les cruellas me font la fête. Je croise un dindon sauvage qui glougloute en se foutant de ma gueule, j'entends une grosse bête dans les fourrés qui profite de cette symbiose comportementale avec les moustiques pour me filer sous le nez. Je torche la randonnée en 45mn (ce qui est déjà trop) et j'hallucine d'ailleurs de ne même pas avoir remarqué les rapides. Ils ont sans doute été baptisés "Whiskey Rapids" parce que découverts sous l'emprise de l'alcool. je vous garantis qu'un homme sobre n'y verrait rien d'autre qu'une rivière au cours indolent enjambant trois galets aux formes douces.
Le temps de rentrer dans ma voiture, j'embarque avec moi 17 femelles en chaleur. Je le sais parce que je les compte en les écrasant une par une. Je mets la clim à fond et je fonce vers mon jacuzzi.
J'ai acheté de la bière, un sac de glace et des springles au corner-shop. J'installe mon lap-top et mon dock d'ipod face à moi. Je débouche ma budweiser, je la laisse tremper dans le seau à glace que je pose au coin de ma baignoire d'angle, et je me regarde un épisode de The Shield, le cul dans les bulles, en me disant qu'il fallait bien une bonne série télé pour finir cette série de merdes.

http://picasaweb.google.com/microsam/AlgonquinPark?authkey=Gv1sRgCIfWho6OxPjqpgE

permalink written by  Sam on June 17, 2009 from Huntsville, Canada
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Ottawa, schizo-capitale fédérale

Ottawa, Canada


Tout à Ottawa reflète, de près ou de loin, la "schizologie" franco-anglaise. Les deux langues cohabitent tant bien que mal (le double affichage est obligatoire), mais elles se disputent inlassablement la politesse. Et si le français semble avoir gagné sur les panneaux indicateurs des rues, c'est juste parce que la syntaxe anglaise est à l'inverse de la nôtre.
La fondation d'Ottawa par la reine Victoria fut dès le départ un compromis surprenant entre le lobby anglo-saxon de Torronto et la communauté francophone de Montréal. Sa situation géographique est ainsi devenue emblématique de la confrontation des deux cultures : le fleuve Ottawa coupe la ville en deux et sépare la province de Québèc de celle de l'Ontario.
Même les édifices participent à ce sempiternel duel. L'imposante architecture victorienne (du Victoria Memorial Museum ou du parlement fédéral, avec ses airs de Big Ben) défie l'extravagance néo-médiévale inspirée par Violet le Duc (le Chateau Laurier rappelant fièrement le Chateau Frontenac de Québec).
En défaisant le marquis de Montcalm sur les plaines du Champ d'Abraham, le général James Wolfe a sonné la mort de la Nouvelle France au profit de la suprématie de la couronne britannique (bien que ni l'un ni l'autre n'aient survécu à la bataille). Les Québécois défendent donc aujourd'hui encore la culture du vaincu. Ce combat de David contre Goliath influence profondément la vie et l'esprit du dernier village gaulois perdu sur le continent nord américain et assiégé par 300 millions d'anglophones.
En partant ce matin, j'écoutais sur Radio Canada l'équivalent de la matinale de Nicolas Demorand sur France Inter et le débat agitait violemment les ondes de savoir si pour la Saint Jean Baptiste (fête traditionnelle du Québec le 24 juin), Céline Dion pourrait se permettre de chanter ne serait-ce qu'une chanson en anglais, ou bien si elle devrait attendre pour cela la fête nationale du Canada le 1er juillet.
Antoine et Gwen, bien que résistants d'adoption, ne m'en avaient pas moins mis en garde contre ces coloniaux d'anglo (raccourci péjoratif pour anglophones). Et Eric Allard, mon hôte passionné de chasse et d'ours noir à Saint-Jean-des-Piles m'avait dit en partant : " T'vâs dans l'parc Algonquîn ? Fais gaffe mon gârs parc'que là-bâs les ours, y sont pas sympâs comme chez nous zotres. Y bouffent un touristes tous les ans. Tu m'diras avec tous ces anglos, on comPràn qui z'aient les crôcs..."
D'ailleurs, à peine arrivé à Ottawa, la patronne de l'Auberge du Marché a tout de suite donné le ton. Nicole parle un français parfait où ne pointe aucune des chaudes sonorités québécoises, il y flotte même un très léger soupçon d'accent britannique, sans doute savamment entretenu. Bien qu'impeccablement prévenante, elle garde une distance froide avec ses guests. Et son mari, lui, ne parle pas un mot de français.
Outre ces considérations, je n'ai quand même que deux demi-journées pour visiter la ville d'Ottawa qui en mériterait sans doute une de plus. J'attrape donc mes gougounes, mes lunettes de soleil et mon appareil photo avant de partir arpenter les rues de la capitale fédérale.
Le musée des beaux-arts (Canadian Museum of Art) est mon premier objectif et j'ai la surprise de découvrir, sur son parvis, la monumentale araignée de Louise Bourgeois qui a dû faire le voyage presque en même temps que moi depuis le jardin des tuileries.
Je m'émerveille devant l'architecture impressionnante de cette basilique de verre, de granit et de béton.
Je profite d'une intéressante exposition temporaire sur les peintres pontificaux de Raphaël à Carachi puis je m'attaque aux collections permanentes. Le fonds peut s'enorgueillir de quelques superbes pièces d'art inuit et d'un certain nombre de toiles de maître (monnet, vlaminck, van gogh, picasso, pollock, calder, Mondrian pour ne citer qu'eux). En revanche, je reste assez hermétique à la peinture canadienne, tant dans la promotion des artistes contemporains que chez les "classiques"...
Après ça, je déambule gentiment dans les rues du Byward Market, le quartier qui bouge à Ottawa. Il reste quelques étals de fleurs et de légumes, rescapés du marché historique, mais les boutiques à touristes ont quand même colonisé l'espace.
Tandis que le soleil couchant inonde la ville de reflets mordorés, je m'installe à la terrasse d'un resto italien avec une bière. Et je finis rapidement par commander une pizza. Je choisis la composition la plus simple : tomate, roquette, jambon de parme et parmesan. C'est le test fatidique d'Anne pour juger de la qualité du pizzaiolo. Et, en l'occurrence, la Mercanto (c'est comme ça qu'elle s'appelle ici) passe brillamment l'épreuve du feu.
Après une courte nuit (le temps de rédiger mon post sur Montréal), je me fais réveillé sauvagement par le voisin qui a décidé de passer la tondeuse sous ma fenêtre à 7h du matin. Il paraît que c'est la loi ici, le tapage peut commencer à 7h. En attendant, je suis passablement énervé et Nicole doit sortir le must du petit-déjeuner anglais pour réussir à me dérider.
Une fois bien calé par son yogourt, ses céréales, ses fruits, son muffin aux blueberries, ses oeufs brouillés et sa tranche de lard fumé, je m'en vais traverser la rivière des Ottawais sur le pont Allexandria pour rejoindre le Canadian Museum of Civilisations. Je profite au passage d'une vue superbe sur le parlement, le chateau laurier et les huit écluses successives du canal rideau qui culmine 30m au dessus du niveau de la rivière.
L'architecture du musée des civilisations est plus en rondeur et beaucoup moins géométrique que celle du musée des beaux-arts. Elle m'a tout l'air d'évoquer l'eau, par ses lacs, ses rivières et ses cascades façonnant le paysage canadien.
Cette fois, les deux expositions temporaires ne sont pas extraordinaires. Celle sur les tombeaux égyptiens parce qu'elle comporte bien peu de pièces au regard de ce qu'on a pu voir récemment au Louvre. Et celle sur les monstres mythiques parce qu'elle est surtout orientée vers un public d'enfants. D'ailleurs, à l'approche de la fin des cours (le 24 juin), les musées sont envahis par des hordes de jeunes. Aussi boutonneux, gesticulant et bruyant que chez nous...
En revanche, les collections amérindiennes sont aussi époustouflantes (les totems trouvent un écrin sans pareil dans les vastes espaces de cette architecture) qu'instructives (on en apprend énormément sur ces cultures) et touchantes (ces autochtones qui n'ont jamais demandé à devenir canadiens continuent de se battre inlassablement pour qu'on reconnaissent leurs droits immémoriaux sur la roche, les rivières et la forêt qui ont vu naître leurs ancêtres).
Bien que sensiblement orientée contre la souveraineté de Québec, la présentation des pères fondateurs du canada (qui occupe tout le deuxième étage du musée) est une mine d'informations étonnantes. On y découvre les mystères planant sur la naissance et la mort de Champlain, l'explorateur français ; les revers de fortune de Thomson le cartographe arpenteur de la Compagnie de la baie d'Hudson ; la fortune de Timmins,
le magnat minier qui développa tout le nord est de l'état en exploitant les filons ferreux au profit des américains ou encore l'alcoolisme élégant de Macdonald, l'artisan de l'union des territoires indépendants pour former le canada fédéral (à un de ses ministres accusé de trop se laisser aller à la boisson, il aurait dit : " Il vous faut arrêter ça tout de suite, Monsieur, car on ne saurait tolérer deux ivrognes au sein de ce gouvernement !").
J'espérais pouvoir arpenter un peu les rues de la Chinatown d'Ottawa après ça, mais je n'ai malheureusement plus le temps parce que je dois rejoindre le Parc Algonquin et que j'ai encore trois bonnes heures de route devant moi.

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permalink written by  Sam on June 16, 2009 from Ottawa, Canada
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Le retour des gougounes

Montreal, Canada


Après 10 jours sur la côte nord du Saint-Laurent, me voilà de retour à Montréal. Je trouve Antoine et Gwen scotchés dans leur canapé. A croire qu'ils n'ont pas bougé de là depuis que je suis parti. Ils ont les yeux hagards du junkie et s'arrachent péniblement à leur épisode de Battlestar Galactica pour venir m'accueillir. J'ai eu la bonne idée de leur recommander ce space op télé le WE dernier et ils s'en sont enfilés une saison et demi pendant mon absence.
Après quelques bières, mes deux zombies reprennent enfin des couleurs. Ils sont d'ailleurs foutrement dégoutés de voir comment j'ai bronzé pendant mon safari à l'ours dans la brousse.
Notre discussion commence donc vendredi soir vers 19h autour de trois chips et d'une canette de Sapporo. Et elle se terminera dimanche soir vers 1h du matin. On s'accorde une ou deux pauses pour dormir, manger et prendre un peu l'air, mais seulement quand c'est absolument nécessaire. A peu de chose près, on papote pendant 48h sans discontinuer. Et tout y passe : la crise financière, les criquets, les aliens, la médiocrité d'hollywood, la génétique, la mémétique, les web agencies, le financement de projet, la porn industry, et beaucoup de nos états d'âme respectifs. Une bonne partie en somme de tout ce qu'on n'a pas pu se raconter pendant ces derniers 18 mois.
Il y a des gens comme ça avec qui les barrières tombent d'elles-mêmes parce qu'elles n'ont pas plus de sens que de raison d'être. La confiance et la connivence rendent la communication osmotique et j'ai l'impression que les connexions se font malgré nous.
Samedi après-midi, le pauvre parisien que je suis, échaudé par les caprices de la météo dans ce pays des extrèmes climatiques, décide de sortir en jean, chaussettes et baskets. Antoine et Gwen, eux, ont senti le vent d'ouest qui annonce le retour des gougounes (le patois québécois pour ses petites sandales plates qui se coincent entre les orteils, communément appelées tongs partout ailleurs dans le monde). Dès qu'ils sentent l'été s'installer, les Montréalais sortent les gougounes et refont leur stock de vitamine D en se faisant bronzer les pieds. Accessoirement, ils y gagnent une aération bienvenue sous le soleil de plomb qui pilonnent la ville. Et j'en fais moi-même la moite expérience, transpirant dans mon jean tandis qu'on grimpe les marches du Mont-royal.
De là-haut (le belvédère culmine à 233m), le panorama englobe toute l'île de Montréal, depuis la cité industrielle de Montréal-Est en passant par le vieux Montréal et le quartier des affaires jusqu'à la banlieue résidentielle chic et anglophone de Westmount.
On se ballade dans les rues du Plateau Mont-royal, sans doute un des quartiers les plus sympas de la ville avec ses vieilles maisons colorées, ses escaliers à hélices extérieurs, et ses "ventes de garage" improvisées sur les trottoirs.
Gérard Tremblay y donne une petite conférence de presse sur la propreté de sa ville devant les caméras de radio canada et c'est Gwen qui nous éclaire sur l'identité de Monsieur le maire, qu'on manque bien de bousculer en passant tellement l'organisation est artisanale. Pas de cordon de sécurité, pas de CRS, on est loin des interventions de notre Delanoë préféré...
Dimanche après-midi, on avait prévu une ballade à la campagne dans le sud de Montréal, mais à 15h, notre plan commence à avoir du plomb dans l'aile : on est toujours en pyjama en train de discuter autour de la table de petit-déjeuner.
Finalement, on se contente d'une expédition au marché, histoire de pouvoir se préparer à dîner. Je constate d'ailleurs avec surprise la qualité et la variété des produits : depuis les légumes jusqu'à la charcuterie en passant par le pain, le vin et le fromage.
On ouvre le champagne. Antoine nous cuisine des crevettes thaï et on finit la soirée en grignotant des cerises avec un verre de chablis.
Lundi matin, toutes les bonnes choses ont malheureusement une fin. Il est temps pour mes hôtes de retourner au boulot et pour moi de reprendre la route.
Cette fois, ma toyota yaris est toute neuve. Rétros et vitres électriques, un allume-cigare qui marche et même une prise jack sur l'auto-radio pour brancher directement mon ipod. C'est le bonheur. Je ne vois même pas passer les 200km qui me séparent d'Ottawa, ma première étape avant de rejoindre le parc Algonquin en Ontario.

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permalink written by  Sam on June 14, 2009 from Montreal, Canada
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Il flotte des nuées de maringouins sur le lac Wapizagonke

Grandes-Piles, Canada


Depuis Baie-Comeau, je reprends la route 138 qui remonte le Saint-Laurent vers Québec et Montréal. Le temps d'une escale au judicieusement nommé gîte du Roupillon, je traverse le fjord du Saguenay avec le traversier qui relie Tadoussac à Baie-Sainte-Marguerite. Je roule dans un brouillard à couper à la hache. Sans doute le fog londonien qui revient hanter ces anciennes colonies britanniques.
Le parc de la Mauricie est ma prochaine étape. C'est un des trois parcs nationaux du massif des Laurentides. Je l'ai choisi parce qu'on y trouve, paraît-il, autant de lacs que de trous dans le gruyère. Et sa devise, empruntée aux adages amérindiens, m'a paru terriblement moderne : "Nous n'avons pas hérité la terre de nos parents, nous l'empruntons à nos enfants !"
Je m'installe d'abord à l'auberge Saint Mathieu du Lac où l'accueil de Louise, la patronne, est digne de tout ce que j'ai déjà écrit sur la gentillesse des Québécois. D'ailleurs, là je plane, mais il faut que je me prépare au bad trip de la redescente en arrivant à Paris. Sinistrose garantie.
Je me lève tranquillement pour petit-déjeuner des crêpes flottant dans le sirop d'érable (pas très digestes mais tellement bonnes). Et c'est donc l'estomac plombé que j'attaque une randonnée qui pourtant, sur le papier, s'annonçait parfaitement équilibrée : 1h30 de kayak puis 3h de marche puis de nouveau 1h30 de kayak...

- Y a du monde qui sait où vous êtes ? me demande le garde forestier à l'entrée du parc.
- Évidemment môssieur. Tous les lecteurs de mon blog savent que je suis au pays des caribous !
- Pardon, mais ça pô d'bon sens c'que vous m'dites lâ
- oui excusez-moi, je voulais juste dire que non, personne de ce côté de l'atlantique ne sait vraiment où je suis. Pourquoi ?
- Juste pasqu'y faut prend' garde quand on part tout seul dans l'bouâ
- Et bien disons que si je me fais bouffer par un ours, personne ne s'en souciera avant que je sois totalement digéré...

La mise en garde n'est pas spécialement rassurante, mais il faut bien reconnaître qu'en ce début de saison, je ne croise rien qui dépasse le QI d'un herbivore (puisse l'infortunée randonneuse que j'ai "rencontrée" me pardonner, mais elle était dans une position qui ne prêchait définitivement pas en la faveur de son intellect...).
C'est d'ailleurs tout le plaisir de cette ballade : Je suis seul, perdu en pleine nature...
Remonter le lac Wapizagonke en rabaska, rien qu'à la sonorité l'idée me plaisait. Sauf que le rabaska (canoë indien) est une embarcation conçue pour deux personnes et particulièrement peu stable pour un pagayeur seul. Peu enclin à foutre mon bel appareil photo tout neuf à la baille, je me rabats donc prudemment sur un bon vieux kayak jaune fluo.
Le lac Wapizagonke (oui c'est un peu chiant à prononcer ;o) fait pas loin de 20km de long et s'étage sur cinq bassins de niveaux différents. Je dois remonter les trois derniers jusqu'au départ de mon sentier de randonnée. Au passage, je maudis généreusement les castors dont les barrages se dressent en travers de mon chemin et que je dois contourner en tirant mon kayak sur la berge. Berge boueuse au possible où je finis avec de la gadoue jusqu'aux genoux, mais je m'en fous, je suis le dernier des mohicans et rien ne m'arrête. Je peux porter mon canoë sur des kilomètres !

J'aperçois des grosses bêtes qui broutent les herbes de la rive opposée, les quatre pattes dans l'eau. Elles sont trop loin cependant pour que je puisse identifier si ce sont des cerfs ou des orignaux.
Je glisse lentement au milieu d'un écrin de verdure, et je comprends le plaisir des pêcheurs à dériver dans cette sérénité absolue en attendant que la truite vienne taquiner leur ligne.
J'abandonne mon kayak sur la berge et je prends la direction des chutes waber (ma destination du jour). Le sentier que j'emprunte est en fait une voie de portage entre le lac wapizagonke et le lac waber. Des pistes de ce genre relient, un peu partout, la myriade de lacs du parc pour permettre de faire du "canoë-camping" en passant de l'un à l'autre. Et là, grimpant entre les sapins et les érables, je suis tout d'un coup très content de ne pas être le dernier des mohicans et de ne pas devoir trimballer mon kayak jaune fluo sur mon dos...
Sur le chemin, je repère des crottes d'ours et pas très loin, les griffures caractéristiques dans l'écorce d'un boulot. Il y a aussi les empreintes d'un ongulé très costaud qui pourrait bien être un orignal.
Dans le parc évidemment les armes à feu sont interdites (c'est écrit en énorme à l'entrée), que la chasse soit ouverte ou pas. Pourtant, j'entends des coups de feu à plusieurs reprises dans le sous-bois. Mais quand la rafale de kalachnikov part juste au dessus de ma tête, je réalise qu'un woodywoodpecker en train de jouer du marteau piqueur sur un tronc creux qui fait caisse de résonance, ça sonne effectivement comme une vraie canonnade.
Les maringouins (comme les québécois appellent les moustiques) sont un vrai fléau ici. Il en flotte des nuées au dessus des eaux calmes du lac et dans la fraicheur des sous-bois. Heureusement, j'avais prévu le coup, et quand je sors mon arme chimique de destruction massive (achetée pour les gros moustiques tropicaux de Guyane), les petits nématocères tigrés d'ici font moins les malins. Je ne m'en tire finalement qu'avec deux piqures. Mais tout le monde n'est pas aussi bien équipé...
Au détour d'un sentier, j'ai la narine chatouillée par une puissante odeur de citronnelle. Intrigué, je m'écarte un peu du chemin pour voir quelle belle plante parfume aussi fort le sous-bois. Et je tombe sur... une jeune randonneuse, le visage couvert d'une moustiquaire (je ne saurai jamais si elle était blonde), en train de s'asperger le derrière avec de l'essence de citronnelle pour pouvoir se soulager sans risquer le torpillage en règle de son arrière train ! La belle, bien qu'en incommodante posture, dresse l'oreille au bruit de mes pas, et je continue ma route comme si je n'avais rien vu...
Après 1h30 de kayak et autant de marche, je découvre enfin les chutes waber, qui valaient le déplacement à elles toutes seules. Je m'installe sur un rocher, à leurs pieds, pour déballer la "linchebokse" (lunch-box) que m'a préparée Louise, et engloutir le casse-croute qui s'y cache (j'ai brûlé les calories des crêpes au sirop d'érable depuis longtemps déjà).
Je fais durer le chemin du retour pour profiter encore un peu du calme enchanteur de ce lac wapizagonke.

Ce soir, je me suis réservé une place à la maison Cadorette. La meilleure table de gibier de la région, tout le monde s'accorde sur le sujet. Je veux manger de l'orignal !
Malheureusement, le chef m'apprend que la bête étant protégée, il n'a pas le droit de m'en vendre. Il pourrait éventuellement m'en donner, mais pas le commercialiser. Sur ces conseils, je me rabats donc sur un filet de caribou préparé en sauce madère avec des petits champignons. Honnêtement, c'est une tuerie !
D'ailleurs, entre le cuistot et moi le courant passe plutôt bien. Je lui raconte que je suis tombé nez à nez avec un orignal au cap éternité, et lui s'installe carrément à ma table, me sort son album photo et part dans ses récits de chasse. Son père était boucher et j'apprends comment on apprête l'orignal, qu'il faut le vider pas plus d'une heure après l'avoir tuer, qu'il faut le découper en quatre quartier et le suspendre au plus vite à un arbre. Selon les conditions, on le laisse là entre 6 et 12 jours pour que la viande s'attendrisse (d'ailleurs à ce propos, ne jamais tuer un orignal qui court, ce sera de la carne). On le protège des moustiques avec un filet et on ne l'écorche que le jour avant de redescendre en ville. Alternativement s'il fait encore trop chaud (normalement la chasse à l'orignal a lieu en automne où il gèle la nuit), on le descend directement en ville pour le suspendre dans une chambre réfrigérée où il restera, du coup, plutôt trois semaines.
Tout ça recoupe parfaitement ce que m'en avez dit Réjean, autant que Jàanclôd. Et ça confirme, si besoin était, à quel point la chasse à l'orignal est ici une tradition, un rite et institution bien plus qu'un simple sport.
Ce matin, justement, je dois aller taquiner l'orignal. Mais ça commence mal. Le rendez-vous était fixé à 4h30 du matin. Sauf que mon ipod (seul réveil à disposition) est resté à l'heure d'hiver et je me rends compte comme un blaireau que non seulement j'ai une heure de retard mais que j'ai du faire poireauter mon guide pendant un moment. Je rappelle donc Jonathan qui avait déjà eu le temps de se rendormir, mais est toujours prêt à sauter du lit : "Si j'me présente dans une quinzaine de minutes, c'est y correct-lâ ?" Evidemment que c'est correct, je suis déjà super emmerdé de l'avoir planté comme ça...
Jonathan arrive donc. Il a 20 ans, il est blond comme les blés et porte une veste quicksilver marron ainsi qu'une casquette billabong brune (la version surfer hawaïen du trappeur canadien ;o).
Avant de partir, il souffle dans un engin vert qui brame comme un orignal en rut et la voiture démarre. Le loustic s'est fait choppé un peu éméché au volant de son quad et la maréchaussée, plutôt que de lui retirer son permis, lui a branché un éthylotest sur son démarreur. Très pragmatique la police ici.
On débarque le canoë sur le lac du fou (sans doute le meilleur spot à orignal du parc avec le lac gabet, c'est le patron de la maison Cadorette qui me l'a dit hier soir). J'adore pagayer en canoë, Daniel-Day Lewis et Michael Mann n'y sont sûrement pas pour rien, mais même au delà de toute référence cinématographique, le geste est d'une simplicité brute et authentique.
On pagaie pendant deux bonnes heures, explorant toutes les criques du lac du fou en prenant garde de toujours approcher contre le vent. On voit des canards à collier, des trucs à aigrettes rouges, des huards plongeurs, un castor, mais pô d'orignâl !
Ya pas d'allemands en sandales pour jouer les boucs émissaires, je ne peux donc m'en prendre qu'à moi et à mon satané ipod...
En arrivant à la voiture, Jonathan se rend compte qu'il a laissé les clés à l'intérieur. Et c'est la première fois que j'entends un québécois prononcer le mot "Tabernâk". Rien que pour ça, ça valait le coup.
On tourne, on cherche une astuce, mais on finit par casser la vitre parce que les mouches noires attaquent. Moi, je me suis bombé au DEET avant de partir donc elles se tiennent à distance. Mais Jonathan se fait dévorer tout cru. Elles sont méchantes ces saloperies : elles piquent et elles arrachent un bout de peau en partant. Jonathan a déjà une dizaine de cratères rouges sur le visage quand on s'arrache à la nuée. Ironiquement, c'est une des meilleures façons de voir l'orignal. Les mouches les rendent fous et ils se jettent dans le lac pour se soulager...
Voilà, mon trip sur la côte nord du saint laurent se termine. Je rejoins Montréal ce soir pour passer le WE avec Gwen et Antoine et la semaine prochaine j'irai faire un tour en ontario ou en gaspésie, c'est selon...

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permalink written by  Sam on June 11, 2009 from Grandes-Piles, Canada
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Les deux écoles

Baie-Comeau, Canada


Ce matin, l'aurore ne me réveille pas. Et pour cause, il fait encore quasiment nuit à 8h. La grisaille qui plombe le ciel de Minganie filerait la déprime à une boîte de prozac. D'ailleurs, ma taulière a bien senti que je n'avais pas le moral : elle s'est armée d'un sourire, elle me prépare un petit déjeuner ensoleillé (ie avec des fruits de l'hémisphère sud : fraise, ananas, kiwi), elle me conseille une escale à rivière-tonnerre sur le chemin du retour et comble de l'absurde, elle me fait un rabais sur la chambre pour m'encourager à revenir...
Je reprends donc la route, pressé de quitter ce pays aux longs hivers. Arrivé à Rivière Tonnerre, je cherche les chutes dont m'a parlé ma taulière (qu'elle me pardonne ce surnom peu reluisant qu'on mettra sur le compte de mes humeurs noires) car après y avoir regardé de plus près, il y a effectivement un entrefilet dans le Routard sur le Grand Saut (130m) que fait Rivière-Tonnerre la bien nommée, une dizaine de km en amont du village qui porte son nom. Sauf que je ne vois aucune route qui remonte de ce côté et que mon GPS a perdu le nord. En désespoir de cause, je finis donc par demander mon chemin à un employé d'Hydro-Québec au volant de son gros 4x4.
"On indique plus les chutes, m'explique-t-il, parce qu'elles sont trop dangereuses, mais c'est par là". Et il me montre la piste forestière sur laquelle il a engagé son pick-up.
D'ailleurs, maintenant qu'il me la pointe du doigt, je vois effectivement un énorme fléchage (vidé de son contenu) dont il aurait fallu être bien malin pour imaginer qu'il indiquait la direction des chutes.
J'engage donc ma voiture sur une piste digne du Paris-Dakar canadien (s'il peut être argentin, pourquoi pas canadien ?) et je suis soudain très content que, comme l'a décrit le loueur au moment de la prise en charge, ma bouse-mobile soit déjà "rayée et éraflée un peu partout".
"Toujours à droite" m'a dit le mec d'hydro-Québec, "et tu tomberas dessus". Maintenant quand un Québécois me dit que je ne peux pas me tromper, je ne sais pas pourquoi, mais je suis méfiant. Aussi quand j'arrive dans un cul de sac, au bout de quatre embranchements et 10km de piste, j'ai comme un frisson... Heureusement, en sortant de la voiture, j'entends le grondement des chutes. Je ne dois donc pas être bien loin. Il y a d'ailleurs un ancien panneau indicateur, qui n'indique plus rien parce qu'il a été méticuleusement gratté. Et ironiquement, c'est la seule indication dont j'ai besoin.
Je suis un vieux sentier forestier qui passe sur le "pont samuel" (c'est un signe !) et je débouche sur le Grand Saut de la Rivière au Tonnerre, que je rebaptiserais volontiers le RUISSEAU A SAMUEL, mais ce serait infiniment trop prétentieux car le site est vraiment impressionnant.
Les chutes tombent de 130m, dans un lac assiégé par la forêt, au milieu d'un chaos de roc. Leur fracas est assourdissant et, à condition d'avoir le pied un peu sûr (ou au moins de le croire), on peut s'aventurer sur les rochers au milieu de la cataracte et à son sommet.
Ce que votre serviteur ne manque évidemment pas de faire. Au passage, il découvre deux croix blanches (4 morts et 1998 et en 2006) et réalise pourquoi les chutes ont été "désignalisées", mais il en faut plus que ça pour l'arrêter. Il va réaliser son phantasme de boy-scout et pisser du haut des chutes, poussant même le vice jusqu'à immortaliser l'instant (quand je serai célèbre, je mettrai cette photo aux enchères au bénéfice d'une association humanitaire et elle me paiera mon ticket pour le paradis).
Aucun regret donc le Grand Saut de la Rivière Tonnerre valait le détour et me redonne même le sourire ! D'autant que je roule désormais vers le soleil, c'est évident.
Le soleil, et les ours !
Quand j'arrive à Baie-Comeau, chez mon guide pour la nuit à venir, je réalise à quel point mes deux expériences d'ours sont représentatives de deux écoles que tout oppose.
Il y a deux jours, j'avais à faire à Daniel, coureur des bois séducteur dont la chemise kaki assortie à son treillis était impeccablement repassée, qui n'avait pas un gramme de graisse et un sourire foudroyant, dont le brushing magique pouvait résister à plusieurs nuits passées dans le bouâ, qui parlait anglais aussi bien que français, qui sortait son stick toutes les 10mn pour s'assouplir les lèvres (secret méconnu des hommes qui embrassent bien), qui avait acheté avec sa femmes 125 hectares de forêt sur lesquels ils avaient créé un centre de réhabilitation des oursons orphelins, qui organisait des excursions pour combler le déficit budgétaire de son association, qui s'autorisait à parler sur le site parce qu'il avait passé un mois et demi à habituer les ours à sa voix autant qu'au bruit des appareils photos, qui ne laissait d'ailleurs pas une minute de silence et endormait l'impatience des allemands en sandales avec un discours aussi didactique que "développement durable" sur les ours (discours émaillé de blagounettes bien répêtées), qui appâtait les ours avec des donuts au miel pour ne pas trop leur faciliter la vie et soit-disant ne pas les encourager à fouiller dans les poubelles ("on trouve a priori peu de donuts au miel dans les poubelles, les gens sont sensés les avoir mangés, non ?"). Bref, le modèle écolo-bobo-végétarien du trappeur canadien avec qui je n'ai PAS vu l'ours !
Réjean, mon guide pour cette nuit, en est l'exact opposé. Il mesure à peine 1m60 au garrot, a la moustache tombante et une bedaine de buveur de bière. Il arbore fièrement un tatouage sur chaque bras (ours à droite et lynx à gauche). Je suis accueilli chez lui, où un renard et une buse empaillée ornent l'entrée tandis que la peau d'ours sous la table du salon finit de donner le ton : Réjean chasse (pour la viande) et trappe (pour la fourrure). Je ne me sens pas très à l'aise, mais je décide très vite de ne pas juger, sur des critères bien pensants, dont je ne suis d'ailleurs pas entièrement certain qu'ils aient un sens ici.
Pourtant, tout nous sépare, Réjean et moi. Assis dans son fauteuil à bascule, devant la télévision qui reste allumée en permanence et comble les blancs de notre conversation, il fait des mamours au "tit pépêre à son pâpâ" : un vieux caniche blanc judicieusement réhaussé d'un bandana bleu autour du cou. Sur ce charabia débilitant (puissé-je ne jamais parler comme ça à mes enfants, aussi gaga que je sois), l'accent québécois est tout bonnement effrayant.
J'ai d'ailleurs affreusement envie de m'enfuir en courant, mais je n'arrive pas à déterminer si mes raisons de le faire sont justifiées et/ou justifiables. Est-ce sa "ploukitude" prolétaire qui m'indispose, sa vie qui me désespère ou la culpabilité de le juger malgré moi qui me hante ?
Je suis évidemment trop lâche pour partir maintenant et je m'auto-justifie en m'imposant l'exercice comme une épreuve de tolérance, ne sachant plus vraiment si je me trouve misérable de ne pas ignorer spontanément le fossé qui nous séparent ou si j'ai des raisons d'être fier de réfléchir comme ça et d'agir en conséquence...
Quoi qu'il en soit, j'embarque dans le gros pick-up Dodge bleu.
On roule sur le route 389 jusqu'au gigantesque barrage Manic-2, puis on emprunte une voie de contournement d'Hydro-québec pour accéder aux lignes hautes tensions avant de s'enfoncer sur une piste dont Réjean m'expliquera plus tard qu'il l'a "construite" lui-même (il a tout débroussaillé, puis il a acheté un petit bull et un rétro-chargeur parce que ça coûtait moins cher que de passer par un contractor).
Entre nous, le silence s'installe. Pourtant, ce n'est pas un silence gêné. Réjean n'est simplement pas du genre bavard et c'est sa manière de faire connaissance. Il ne me demande pas ce que je fais dans la vie parce que ça n'a pas d'importance ici. En revanche, il répond à mes questions (sans rechigner, mais sans enthousiasme excessif). Il a bossé 34 ans dans l'usine d'alluminium ALCOA de Baie-Comeau. Les revenus de ces excursions sont un appoint bienvenu à sa maigre retraite ("qui paye le pain mais guère plus"). Il loue une petite parcelle au gouvernement pour son affaire. Il chasse, il trappe, et il pèche. Oui, il a chassé l'ours, mais il a arrêté parce que c'est trop facile.
On passe à côté d'un petit lac où il arrête le 4x4 pour me montrer le jeune castor qui s'y est installé la semaine dernière. En arrivant sur le site, il me désigne des traces d'orignal sur le chemin, m'expliquant qu'il faut les regarder au loin parce qu'on ne les voit qu'en vue rasante. Quand on les a juste sous le nez, on marche dessus sans s'en rendre compte.

J'apprends la différence entre des crottins d'ours et des crottins de loup. Le premier est noir et contient des restes de végétation, le second est brun clair et contient des poils et des os. Il n'y avait apparemment aucun doute qu'on verrait des ours, mais maintenant il y a aussi de bonnes chances de voir des loups (deux crottins frais de forme différentes donc deux loups au moins sont passés depuis hier... Réjean vient tous les soirs).

On s'arrête pour charger les appâts à l'arrière du pick-up, quatre sauts de viande qu'il récupère dans les boucheries de la ville et laisse faisander dans une cabane lourdement cadenassée (sinon les ours viennent se servir à la source).
Puis je découvre la cahute au fond des bois. Elle est moins romantiquement rustique que je l'avais imaginée, mais d'ici la fin de la nuit, je ne regretterai pas le confort que Réjean s'est astucieusement installé. Elle dispose de baies vitrées sur ses quatre côtés avec des petites fenêtres coulissantes pour l'appareil photo. Elle est parfaitement isolée, munie d'un poêle à bois, de WC chimiques et d'une électricité sommaire alimentée par quatre batteries de voiture. Les bières fraiches trempent dans l'eau du puits. Réjean dépose les appâts dans la clairière et on s'installe à l'intérieur pour la nuit. Les quatre bancs peuvent se transformer en lit. Des matelas en mousse et des sacs de couchage sont entreposés à l'arrière.
On a enlevé nos chaussures pour ne pas faire de bruit. Réjean ne parle toujours pas. Il rote juste en buvant sa bière. Il faut attendre l'arrivée du premier ours pour qu'il se déride. Peut-être parce qu'il voit ma bouille émerveillée et décide que j'en vaut la peine. Toujours est-il qu'il commence à chuchoter et me raconte ses histoire d'ours, l'histoire de "ses" ours.
Le gros qui vient d'arriver, il le surnomme Biscuit parce qu'il adore les biscuits au chocolat. Ca fait plusieurs années qu'il est fidèle au poste. Celle qui boîte est une femelle (on aperçoit les mamelles brunes juste derrière les pattes avant), elle a sans doute été blessée par un trappeur. Les ours noirs se battent très rarement entre eux. Ils sont trop besoin d'accumuler de la graisse avant le retour de l'hiver pour risquer une blessure. Tant qu'il y a assez de nourriture, ils peuvent cohabiter, même si ce sont, à part ça, des animaux solitaires au territoire immense (175 km carrés pour les mâles, un peu moins de 100 pour les femelles) qui parcourt jusqu'à 12km par jour. Ils empruntent très souvent les mêmes chemins et il faut être prudent quand on croise un sentier creusé en forêt. Ils affectionnent particulièrement les jeunes sous-bois sous les lignes électriques parce les baies y abondent. La seule chose qui rend vraiment les ours agressifs entre eux, c'est la présence d'une mère protégeant ses petits. Et justement, tandis qu'une deuxième femelle entre dans la clairière, Réjean me montre du doigt l'orée de la forêt où deux oursons pointent le bout de leur nez.
"Elle en avait trois, me murmure-t-il, mais ça fait trois jours que je n'ai plus vu le troisième. Il a dû se faire tuer par les loups..."
Sauf que moi j'aperçois une troisième peluche cachée derrière et je sens l'émotion de Réjean. "L'est toujours vivant ! Les loups ont juste dû le séparer de sa mère pendant plusieurs jours !"
Le troisième larron est d'ailleurs le plus peureux de la bande. C'est dingue comme on différencie parfaitement leurs comportements. Le premier, celui qui a une tâche en forme
de papillon entre les deux pattes avant, est le plus intrépide. Il n'attend même pas les instructions de sa mère avant d'entrer dans la clairière (et se fait violemment rabrouer par des gloussements rauques). Le second est observateur. Depuis l'orée de la forêt, il se dresse sur ses pattes arrières et essaie de voir (ou de sentir) le danger.
Une fois que la mère a écarté les autres ours
de la clairière, elle appelle les petits, qui viennent les un après les autres. Et au moindre signe de retour de Biscuit ou de la Boîteuse, elle souffle violemment des naseaux alors que les trois oursons détalent et grimpent en moins de 15 secondes au sommet d'un arbre qui fait bien 7-8m de haut. Ils redescendent toujours dans le même ordre. D'abord l'aventureux, ensuite l'observateur et le peureux reste au moins 10mn là-haut (s'il a effectivement échappé à des loups, on le comprend).
On passe trois bonnes heures à observer leur manège. Je jubile et je prend des centaines de photos. Puis lentement, Biscuit, Boîteuse, Maman Ours et les trois petits s'en vont.
On débouche une deuxième bouteille de bière pour arroser cette belle observation d'ours sauvages et Réjean s'arrête en plein milieu de sa phrase. Un long silence. Puis :
"Retourne-toi très lentement, me dit-il, il y a un loup derrière toi. Ne va pas chercher ton appareil photo tout de suite. Laisse lui le temps de goûter un morceau de viande. Il va l'emporter et puis il reviendra. Et c'est exactement ce qui se produit.
Sauf qu'entre temps, un gros ours costaud que Réjean a surnommé Hulk, vient s'installer dans la clairière. Ca n'empêche pourtant pas le loup de vouloir le reste de son festin. Les deux fauves se tournent autour en se défiant pendant de longues minutes. Et Réjean (qui avait un doute à cause du museau allongé) est maintenant certain que le nouvel arrivant est un loup et pas un coyote (parce que jamais un coyote n'aurait osé tenir tête à l'ours). C'est d'ailleurs certainement un loup qui a été chassé de la meute, il est seul et particulièrement maigre.
L'un et l'autre finissent par trouver une distance de sécurité confortable et on continue notre observation tandis que le soleil se couche. L'ours nous quitte bien avant le loup qui fait des allers-retours même après la noirceur.
"Je crois qu'on a eu une belle soirée", me fait Réjean en allant se coucher. Je crois bien oui, et même si j'en reste sans voix, je pense que ma bouille parle pour moi.
J'aurais dû faire des rêves d'ours cette nuit-là, mais Réjean ronfle comme un sonneur. J'avais un peu senti le coup venir et pris mon ipod avec moi, mais ça n'a pas suffit. Je n'ai pour ainsi dire pas fermé l'oeil de la nuit. Ce qui ne fut pas une perte de temps pour autant, j'ai pu constater que les ronflements de Réjean ne dérangeaient pas ses amis les ours. Deux autres sont revenus pendant la nuit, que j'ai été incapable d'identifier sans le boss...
L'aube, cette fois-ci, m'a trouvé claqué, mais heureux. Après avoir tout rangé, on est rentré sans un mot. Et j'ai aimé ce silence. J'espérais sincèrement que Réjean y comprenait le profond respect que j'essayais d'y exprimer pour son expérience et sa connaissance de cette nature sauvage.
Puis Réjean m'a dit : "Mintenàn, ti vâ v'nir minger des crèpes de mamâ ours". Maman Ours faisant référence à Josette, sa femme, et non plus à la femelle d'hier soir.
Ce sont les meilleurs pancakes au sirop d'érable que j'ai mangés depuis que je suis ici. Mais je n'ai pas pu m'éterniser bien longtemps. Maintenant que nous étions sortis du bois, la magie se dissolvait et le fossé se réouvrait à mes pieds. Josette et Réjean parlant "au tit pépêre à sa maman" comme si le caniche était la quatrième personne attablée avec nous, c'était trop !
La seule conclusion évidente que je tire de cette aventure, c'est que j'ai vu les ours et que, de manière générale, pour observer les bébés phoques sur la banquise, il vaut mieux s'adresser à un chasseur de phoques qu'à Brigitte Bardot...
Le reste continue de mûrir.

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permalink written by  Sam on June 8, 2009 from Baie-Comeau, Canada
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Du Rififi ches les Acadiens

Havre-Saint-Pierre, Canada


Dimanche soir, le drapeau français à l'étoile flotte sous la pluie et le vent. Je suis 600km plus au nord que ce matin et j'ai laissé l'été loin derrière moi. Il fait à peine 10°C et le ciel a la couleur des poumons d'un fumeur cancéreux. J'ai voulu venir au bout du monde, mais je le regrette déjà. Mes souvenirs de la Minganie se limiteront à la bière que je bois en mangeant des pistaches et en écrivant ce post dans un hôtel glauquissime de Havre-Saint-Pierre...
Mais commençons par le commencement :
Je suis parti ce matin des Grandes-Bergeronnes sous un soleil radieux. Mon GPS m'annonçait 11h de route pour parcourir les 611km qui me séparaient de Havre-Saint-Pierre, mais j'étais confiant. Les autochtones m'avaient donné des estimations du temps de parcours qui variaient entre 3 et 6h, il me semblait donc raisonnable de penser que j'y arriverais en 8h maximum. A la Fjordelaise, la patronne avait appelé son chum (comprenez son homme) pour répondre à ma question. Le vénérable patriarche s'était levé de son fauteuil à bascule pour s'exclamer : " L'archipel de Mingan ? Ouh là... Faut ben 3h pour aller jusqu'à sept-iles, mais après j'sais pas, j'suis jamais allé au-delâ. A mon époque, ya 10 ans d'çâ, la route allait pas plus loin !"
Pour info, si vous regardez sur la carte, Sept-iles est à peu près à mi-chemin de Havre-Saint-Pierre, ma destination finale...
Au départ, j'avais prévu de couper la route en deux étapes, mais j'ai changé d'avis pour pouvoir voir l'ours noir. Et dieu sait que j'ai bien fait...
Je reconnais qu'en montant dans ma voiture, j'appréhende un peu ces 600 km d'une traite, mais j'allume mon ipod, je monte le son et j'appuie sur l'accélérateur.
Les Québécois ne sont pas vraiment des conducteurs émérites, pourtant on saurait difficilement leur en tenir rigueur. Ils déboitent effectivement n'importe comment et le clignotant est un luxe qu'il se permettent rarement, mais ils sont d'une courtoisie exemplaire et se rabattent systématiquement sur la file de droite quand on veut les doubler. On ne saurait d'ailleurs guère leur tenir rigueur de leur sens approximatif du volant car il y a dix ans, le gouvernement a trouvé une astuce autrement plus efficace que la jupette pour relancer le marché automobile. Ils ont décrété que le permis serait d'office accordé à toute personne qui pourrait justifier d'un an de conduite (sans aucune leçon obligatoire). Ce n'est donc pas l'intention de bien faire qui manque à cette génération de conducteurs autodidactes, mais juste la manière de le faire.
Pour autant, une fois qu'on a pris le pli, les kilomètres défilent tranquillement et mon hémisphère gauche y trouve les circonstances idéales pour phosphorer sur le sujet de mon prochain roman. Sans doute que de savoir ce rabat-joie d'hémisphère droit concentré sur la conduite l'aide à se libérer...
Je vois le paysage changer lentement. La forêt recule à pas de loup, abandonnant les rives du Saint-Laurent à des plages de sable blanc où d'énormes galets sont éparpillés comme un jeu d'osselets oublié là par un titan.
Puis le Saint-Laurent prend des allures d'océan, fracassant ses vagues sur la roche qui écrase les plages de sable blanc. Le relief est de plus en plus accidenté. Les barrages hydro-électriques se succèdent à un rythme étonnant et la route enjambe des dizaines de rivières qui cascadent dans l'embouchure du fleuve en rapides intrépides. Il y en a tellement que ça a fini par poser des problèmes d'inspiration pour les baptiser.
Certaines ont trouvé leur nom d'elles-mêmes : la Rivière au Tonnerre parce qu'elle gronde comme le ciel un soir d'orage, ou la rivière Manitou parce qu'elle impose le respect aussi sûrement que le silence d'un vieux sage.
Mais une fois épuisés les superlatifs, il en restait encore tant à nommer que les autochtones se sont apparemment retrouvés livrés à eux-mêmes : je traverse la Rivière à Moïse, le Ruisseau à Marcel et une foultitude d'autres dans la même veine.
Vous noterez que j'ai bien écrit la Rivière A Moïse et pas la Rivière DE Moïse. Ici, les cours d'eau font exception à la règle sur le possessif.
Ceci étant dit, Marcel n'a aucune honte à avoir car son ruisseau n'a rien à envier à nos torrents européens, il est juste un brin plus petit que la Rivière à Moïse, mais ici tout est démesuré.
Même le ciel est immense. Je vois les fronts nuageux s'avancer sur des kilomètres de distance et j'ai l'impression d'avoir un océan suspendu au dessus de la tête. Pourtant, à bien y réfléchir, il n'y a aucune raison rationnelle à ce que le ciel, ici, soit différent de chez moi. L'horizon n'est pas spécialement dégagé et la perspective devrait être la même. Sans doute est-ce donc moi qui en fait le miroir de mes états d'âme et me laisse écraser par le sentiment d'être une créature minuscule perdue dans cette nature sauvage...
Les nuages se fracassent sur l'horizon comme les vagues d'une mer ardoise. Mes pauses photo se font de plus en plus en jouant à cache-cache entre les gouttes. La forêt se disperse, les arbres sont de moins en moins haut et quand je passe la frontière de la Minganie, il n'y a plus de doute : je roule sous la pluie, dans la toundra !
Je pénètre dans Havre-Saint-Pierre avec le moral en berne. Ici, le drapeau acadien flotte au dessus de toutes les maisons. Il ornent les panneaux de rue et décorent les poteaux électriques. Les descendants de ces colons français (qui furent violemment déportés dans toutes les colonies britanniques pour avoir refusé de prêter allégeance à la couronne et ne pas devoir prendre les armes contre leurs propres familles), ceux-là donc affichent fièrement leur identité.
Je ne voudrais pas non plus généraliser sur le peu que j'en verrai, mais mes hôtes du gîte des 4 saisons sont aussi accueillants que les portes du bagne de Saint Pierre et Miquelon. Et après la chaleur des Québécois, c'est une douche presque aussi froide que la pluie glaciale qui bat contre les carreaux de ma chambre. D'autant qu'ils m'annoncent, avec l'indifférence d'un croque-mort pour un cadavre, que tout est fermé parce que la saison touristique ne commence que le 24 juin (avec les vacances canadiennes). Donc pas de resto, pas de bateau pour accéder à l'archipel, pas de centre d'étude des cétacés. Rien. Rien d'autre à faire que de regarder tomber la pluie...
J'ai fait 600km pour ça.
Et je vais devoir en faire 600 de plus dans l'autre sens.
La galère de voyage. IL en faut une. Et ben c'est fait !
J'ai le moral dans les chaussettes et j'en veux méchamment au Routard qui m'annonçait gaillardement que tout commençait début juin. ON en est loin... Ca me met d'ailleurs la puce à l'oreille et j'appelle pour vérifier que le safari à l'orignal que je voulais faire sur le chemin du retour est bien en route. Que dalle ! Rien avant une bonne semaine...
Je trouve un dépanneur (comprenez l'épicier arabe qui reste ouvert la nuit, en l'occurrence il n'a rien d'arabe, mais il est juste pas acadien). J'achète des bières et des pistaches pour faire passer le cafard et je me persuade que c'est l'ours noir qui me porte malheur. Je décide donc de repartir demain matin à l'aube, de foncer jusqu'à Baie-Comeau et de faire un "vrai" safari à l'ours. On part en milieu d'après-midi, on s'enfonce de 25km en forêt et on dort dans le bois pour surprendre les fauves. Même si on les voit pas, on en reviendra au moins avec l'odeur. Et puis cette fois, y aura pas d'allemand, j'aurai le guide pour moi tout seul !

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permalink written by  Sam on June 7, 2009 from Havre-Saint-Pierre, Canada
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L'homme qui a vu l'homme qui a vu l'ours

Grandes-Bergeronnes, Canada


Depuis Mashteuiatsh sur le bord du Lac Saint Jean, je rejoins Chicoutimi et je redescends vers le Saint-Laurent via la rive nord du Saguenay (jetez un coup d'oeil sur la carte là-haut pour vous faire une idée). La Highway 70 que j'emprunte n'a que quelques années. Auparavant, il fallait redescendre sur la rive sud et aller chercher le "traversier" pour passer le fjord entre Baie-Sainte-Marguerite et Tadoussac. Outre que ce nouvel itinéraire me fait gagner près de trois heures, cette route est incroyable. Elle traverse les étendues sauvages comme un fil à couper le beurre, englouti par ce qu'il est sensé trancher. Mon bandeau d'asphalte, rayé de ses deux lignes jaunes, se déroule à l'infini, longeant des rivières à saumons, sillonnant entre les bouleaux et les épinettes noires, croisant des myriades de lacs et filant à l'ombre de falaises dessinées par les géants.
MUSE hurle à tue-tête dans le petit habitacle climatisé de ma bouse-mobile et j'ai une pensée émue pour les explorateurs, les trappeurs et les forestiers qui m'ont précédé ici, y ayant sans doute, pour beaucoup, cassé leur pipe. J'imagine leur surprise en tombant sur un lac poissonneux, leur hantise de ne pas pouvoir traverser une rivière, leur peur constante des grands prédateurs et l'angoisse de leur décompte du temps : non pas en km à couvrir, mais en provisions restantes...
En attendant, moi je roule à 130 décibels et je m'abîme dans le paysage. Je m'émerveille de cet effet d'optique hypnotique où on ne sait plus si c'est la forêt qui dessine le contour des lacs, ou l'inverse...
J'étais fatigué en partant et je renâclais à l'idée de ces trois heures de voiture (ma dose quotidienne pour ce voyage). Pourtant, elles se finissent trop vite, ces 3h, et c'est avec amertume que je vois poindre les premiers signes d'une agglomération (l'amertume d'un type qui ne s'est jamais soucié de tomber en panne d'essence ou de crever de faim et de froid dans les bois, soyons honnête quand même ;o).
Grandes-Bergeronnes est un bled de deux mille âmes qui s'étale sur 15km de rayon. Mon GPS n'a jamais entendu parler de sa Rue Principale et au bout d'une demi-heure, j'en reviens à la bonne vieille méthode de "demande ton chemin au voisin". Encore pour cela faut-il trouver un passant, ce qui me prend vingt minutes de plus...
"Le Gîte Les Petits ? Mais tu peux pas rater mon ami. C'est en face l'église !"
Et effectivement, c'était en face.
Fallait que je sois con pour pas y penser !
Hier Claude (Robertson) et ce soir, c'est Jean-Claude (prononcez Jànclôd) qui m'accueille en me lançant un joyeux "Tertan un bus".
Notre duo comique fonctionne à merveille : je suis concentré pour ne surtout pas paraître discourtois avec un de ces québécois si poli, et lui me répète trois fois son borborygme, très fier de lui devant ma gueule ahurie, avant de me traduire et de m'expliquer sa belle expression "idiomatique". Tertan un bus (comprenez en bon français : "Tire t'en une bûche") fait référence à l'époque où il n'y avait pas de chaise pour tout le monde dans les cabanes du canada et où le maître de maison invitait ses hôtes à attraper une bûche près de la cheminée pour s'asseoir dessus... C'est quand même pas compliqué, putain, de dire simplement : "je vous en prie, asseyez-vous", non ?
Pardon, c'est le parisien qui revient et c'est d'autant plus malvenu que Jànclôd est une crème d'homme. Il commence par me vendre un plan pour aller voir les baleines au cap-de-bon-désir, une réserve naturelle payante, mais qui ferme à 18h et à laquelle on peut accéder par un sentier dérobé ("Ca vâ t'fer sôver des coûts, tu compRàn"). Oui, je comprends très bien, mais je suis scotché dans le canapé parce que Jànclôd, qui a senti mon intérêt pour les ursidés, a décidé de me raconter LA rencontre-avec-un-ours-qui-a-changé-sa-vie.
Malheureusement, vous, vous ne saurez jamais le fin mot de l'histoire parce que, même avec le triple du talent de conteur auquel j'aimerais pouvoir prétendre, je n'arriverais pas à la cheville de Jànclôd quand il raconte son aventure en se caressant le menton avec sa main droite où il manque deux phalanges...
Des ours plein la tête, je prends donc le chemin du cap-de-bon-désir en espérant voir des baleines. Je n'en aperçois pas le bout de la queue d'une. Et je me pèle de froid. Parce qu'au cap, il souffle un vent à décorner les orignaux. Ceci dit, ce n'est vraiment pas grave, le paysage est époustouflant. Le soleil rasant sertit la forêt d'émeraude, enflamme les rochers roses sous mes pieds et nimbe d'or les eaux du Saint-Laurent. Ca valait le coup de risquer la pneumonie, avec ou sans baleine !
Lendemain matin, réveil aux aurores (le soleil se lève à 4h du mat et les québécois n'ont pas de volet "pasque fô emmâgâziner la vitdâmine D avàn l'hiver" m'explique mon hôte). Petit-dèj fabuleux servi par mon ami Jànclôd avec un tablier très français (du moins il trouve). Et v'là t'y pas qu'on r'parle des ours parce que Jànclôd a pensé qu'ça m'intéresserait p'têtre d'en voir avec un guide en forêt. Ysait q'y font çâ lâ et ça s'rait p'têtre une bonne idée.
Tu parles que ça serait une bonne idée !
UN coup d'oeil sur la carte routière et je change mon programme fissa : je reste là ce soir et je me ferai les deux étapes de routes suivantes dans la journée de demain ! En attendant, faut que je me magne d'aller voir les baleines parce que le bateau ne va pas m'attendre.
Je fais trois fois le tour de Tadoussac et je visite trois quais d'embarquement avant de tomber sur le bon, mais je finis par trouver la compagnie AML.
Ils nous équipent comme pour passer le cap Horn et je commence à flipper pour mon bel apareil photo tout neuf. Aujourd'hui cependant, il n'y a pas un poil de vent (du jamais vu) et le Saint Laurent est une vraie nappe d'huile lisse comme la surface d'un miroir. Du coup, les baleines se voient de loin. Pourtant, l'expérience n'a rien à voir avec ce qu'on a vécu en Argentine.
D'une parce que les rorquals sont plus petits, deux parce qu'ils ne sortent que très rarement leur queue et surtout parce qu'il n'y a pas de baleineaux joueurs pour faire des cabrioles.
Bref, je n'ai pas le sentiment d'avoir rencontré un alien du fond des mers (même si les belugas sont très beaux) mais juste d'avoir aperçu, de loin, des nageoires dorsales (bleues pour les rorquals, blanches pour les belugas).
Ceci dit, ce n'est pas trop grave parce que l'autre moitié du spectacle est assurée par le Captain' Bernie. Un québécois qui en plus d'avoir de la gouaille (s'il était là, il ajouterait sûrement à destination des dames qu'il n'y a pas que sa langue qu'il n'a pas dans la poche), en plus de son bagout donc, le capitaine a fait du sauvetage en mer pendant 20 ans chez les gardes-côtes. Alors les croisières à la baleines sur un Saint Laurent plat comme un lac, il le dit lui même, il trouve ça un peu chiant. Et il préfère faire le con avec son zodiac.
Ce qui inclut le slalom dans le sillage des gros bateaux pour faire demi-tour en trombe et rebondir sur ses propres vagues. Ca inclut aussi bien sûr LA manoeuvre qui fait la renommée de Captain'Bernie sur toute la côte nord : lancer les deux moteurs de 500 chevaux à donf et pousser le gouvernail en butée. Trois tours dans un sens où le zodiac gîte à 45° puis trois tours dans l'autre, histoire que les passagers sur chaque bord bénéficient successivement de la vue plongeante de fête foraine puis de la vue panoramique à 1080°. Et il faut bien reconnaître que ses cabrioles en jettent gravement sous les falaises du fjord, ou
sous la "chute du caribou qui pisse" (les québécois sont des poètes, les fans de charlebois le savent).
Puis vient l'heure tant attendue du "safari aux ours".
17h45 : j'enfile mes sous-couches polaires et je me tartine d'anti-moustiques
17h55 : je prends la voiture et je fais 20 km jusqu'au domaine des ancêtres (lieu de départ du périple).
18h10 : l'orage gronde
18h15 : on embarque dans les 4x4 pour une demi-heure de route alors que l'orage éclate et qu'un déluge de flotte s'abat sur nous. Ca promet, mais y paraît qu'on et à l'abri sur place...
18h45 : la pluie s'est arrêtée comme par magie et on débarque des 4x4 pour 20mn de marche sur des sentiers détrempés (les allemands en chaussettes et sandales déchantent. Ca leur apprendra à s'habiller comme des culs !)
19h05 : on s'installe dans l'observatoire construit à la dure en bon vieux bois qui fait mal au cul des allemands (juste par qu'ils m'énervent). Un ruisseau qui coule au fond du vallon nous sépare du flanc de colline où passe LE sentier d'ours (les ursidés empruntent des chemins "balisés" pour faire une douzaine de km par jour) et où les pisteurs ont déposés un appât pour les arrêter dans leur pérégrination (une douzaine de donuts au miel !).
19h25 : le bal des écureuils commence, les squirels viennent chercher leur part du festin.
19h55 : un jai bleu vient nous divertir.
20h15 : les moustiques attaquent.
20h35 : les lièvres s'invitent à la fêtent.
20h55 : celui qui est responsable de l'éclairage, baisse le chauffage en même temps qu'il tamise la lumière.
21h25 : toujours pas d'ours
21h35 : la nuit tombe, ça fait deux heures qu'on se gèle le cul (surtout les allemands !) dans cet observatoire pendant que les moustiques nous assaillissent par vague, et le guide est bien obligé de sonner la retraite, la queue entre les jambes.
J'y gagne un ticket gratuit pour la prochaine fois et j'envisage sérieusement de changer à nouveau mon programme pour revenir.
En somme, je suis l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'ours... Un bel euphémisme pour dire que je suis juste le con qui n'en a pas vu !
Tu me diras, les allemands non plus, et ça, ça me fait plaisir. Si z'avaient pas mis des sandales, ces crétins, je suis sûr qu'on l'aurait vu l'ours...
J'échoue à Tadoussac qui repose tranquillement sous la pleine lune. Le Café Bohème où j'ai mangé ce midi est l'endroit idéal pour écrire ce post pendant qu'une jolie autochtone chante qu'elle "a peur de perdre le contrôle".
Ma pauv'chérie, moi j'ai juste les boules de ne pas avoir vu l'ours !

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permalink written by  Sam on June 5, 2009 from Grandes-Bergeronnes, Canada
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Quand une épine de pin tombe par terre, l'aigle la voit, le cerf l'entend et l'ours la sent

Roberval, Canada


Le titre de ce post est un proverbe Montagnais (Ilnu dans leur langue), une tribu indienne dont la réserve, sur les rives du lac saint-jean, est ma prochaine destination.
Le GPS me sauve la vie un paquet de fois sur la route entre l'Anse-Saint-Jeant et mashteuiatsh (pointe bleue en Ilnu). Après le fjord du saguenay en remontant vers le nord, le paysage s'émaille de lac au bord desquels les maisons font plutôt envie.
Je croise même des hydravions garés sur les pelouses. Preuve qu'ici en hiver, c'est le bout du monde et que, même en été, on ne rallie pas la baie d'Hudson, quelques milliers de km plus haut, en voiture.
Ce soir, je dors dans la maison Robertson. Elle a 250 ans et cinq générations de Robertson s'y sont succédées. D'extérieur, elle a plutôt l'air récente, mais le mystère s'éclaircira bientôt. C'est Claude Robertson, le cinquième du nom, qui m'accueille avec son accent de trappeur du fond des boâ. Il déblatère pendant cinq min et je souris bêtement parce que je ne comprends rien, ou presque. Juste que deux jours avant que j'arrive, il gelait encore (on est le 4 juin et j'ai une pensée affectueuse pour Anne qui a bien fait de rester au chaud à Paris).
L'intérieur de la maison est un capharnaüm kitchissime où les objets rituels indiens côtoient les nains de jardin et ma chambre donne directement sur le lac saint jean (qui a tout d'une mer tellement il est grand).
Ce soir à Mashteuiatsh, tout est fermé . Claude à l'air désolé, mais la saison n'est pas encore commencée. Ceci dit, je ne regrette pas vraiment parce que la baraque à frites, même tenue par un shaman, ça reste pas très digeste. Donc je vais dîner à Roberval (la grande ville !!!!).
Le Café yé est un restaurant/bar/concept végétarien et biologique tenu par une jeune bande de québécois gravement hippies sur le tard, mais vraiment super sympa. En outre, internet est gratuit et il y a un concert de Jazz. C'est donc là que je rédige mon post en mangeant des lasagnes d'épinard et une salade de l'amour avec la micro-bière locale.
Lendemain matin, lever aux aurores, comme d'hab. Et heureusement parce que mon Claude est en verve. Il me tient la bavette pendant que je boulotte mes oeufs brouillés et tout l'arbre généalogique des Robertson y passe.
Pas indien pour deux sous le grand aïeul, mais écossais. Sauf qu'il a épousé une squaw Ilnue et qu'il s'est fait adopté en grande pompe par la tribu pour ses bienfaits : Il travaillait comme trappeur pour la Compagnie de l'Hudson River, mais à l'époque le capitalisme était au moins aussi sauvage qu'aujourd'hui. La Compagnie achetait leurs peaux aux trappeurs, mais ne leurs préfinançait pas les provisions et le matériel pour partir en expédition (graisse, traineau, bouffe, munitions...). Un paquet d'entre eux restaient donc sur le carreau. Aussi Feu-Robertson-Senior a-t-il décidé de monter une coopérative avec les indiens, et sa réussite lui a valu d'être adoubé par le conseil des sages. Depuis les Robertson sont plus Ilnus qu'écossais...
Quand il est lancé, le Claude, on ne l'arrête plus. J'apprends aussi pourquoi la maison n'a pas l'air de ses 250 ans. C'est parce que la façade est toute neuve. L'hiver dernier, il a fait tellement froid (-40°C + le vent du nord soufflant sur la façade qui donne sur le lac saint jean = -70°C ressenti) que ça a gelé à l'intérieur de la maison. Claude a donc décidé de refaire l'isolation, mais à l'ancienne : en glissant de la sciure de bois entre les rondins de cèdre de 50cm de diamètre. Sauf que les rondins étaient trop abîmés et que tout est parti en sucette. Et il a donc fallu refaire une façade toute neuve !
Bon, c'est pas tout ça mais j'ai une job de touriste moâ, donc je plie les gaules et je m'en vais voir mon "zou". Comprenez : la réserve sauvage de Saint Félicien, 300 hectares de forêt dans laquelle le gouvernement préserve la faune boréale.
C'est un peu de la triche,mais depuis le train grillagé qui me ballade dans la réserve, je vois enfin des ours bruns (et même un grizzly).
J'apprends à faire la différence entre un orignal (l'élan avec de longues pattes et une ramure pleine), un caribou (qui ressemble finalement plutôt à un renne) et un wapiti (somewhere between caribou and cerf, mais avec des bois qui peuvent peser jusqu'à dix kilos !).

Sur les conseils de Claude, je fais un stop au musée amérindien et dans la coopérative de fourrure de la réserve (il y a encore vingt ans, les forêts autour du lac saint jean étaient protégées pour préserver cette industrie, mais maintenant l'agriculture intensive a prix le relais !).
Et justement, moi je me refais une pause végétarienne biologique au café yé avant de partir. Trois bonnes heures de route m'attendent pour rejoindre la rive du saint laurent et le pays des baleines en la bourgade de Grandes-Bergeronnes. Aussi la quiche de légumes et la salade de courgettes accompagnés d'un espèce de cidre de raisin ne sont pas de trop (pas plus d'ailleurs que le smoothie framboise-banane au lait de soja ;o)

http://picasaweb.google.com/microsam/LacSaintJean?authkey=Gv1sRgCOLS74P-sdPn6QE#

permalink written by  Sam on June 4, 2009 from Roberval, Canada
from the travel blog: Sam au pays des caribous
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