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Du Rififi ches les Acadiens

Havre-Saint-Pierre, Canada


Dimanche soir, le drapeau français à l'étoile flotte sous la pluie et le vent. Je suis 600km plus au nord que ce matin et j'ai laissé l'été loin derrière moi. Il fait à peine 10°C et le ciel a la couleur des poumons d'un fumeur cancéreux. J'ai voulu venir au bout du monde, mais je le regrette déjà. Mes souvenirs de la Minganie se limiteront à la bière que je bois en mangeant des pistaches et en écrivant ce post dans un hôtel glauquissime de Havre-Saint-Pierre...
Mais commençons par le commencement :
Je suis parti ce matin des Grandes-Bergeronnes sous un soleil radieux. Mon GPS m'annonçait 11h de route pour parcourir les 611km qui me séparaient de Havre-Saint-Pierre, mais j'étais confiant. Les autochtones m'avaient donné des estimations du temps de parcours qui variaient entre 3 et 6h, il me semblait donc raisonnable de penser que j'y arriverais en 8h maximum. A la Fjordelaise, la patronne avait appelé son chum (comprenez son homme) pour répondre à ma question. Le vénérable patriarche s'était levé de son fauteuil à bascule pour s'exclamer : " L'archipel de Mingan ? Ouh là... Faut ben 3h pour aller jusqu'à sept-iles, mais après j'sais pas, j'suis jamais allé au-delâ. A mon époque, ya 10 ans d'çâ, la route allait pas plus loin !"
Pour info, si vous regardez sur la carte, Sept-iles est à peu près à mi-chemin de Havre-Saint-Pierre, ma destination finale...
Au départ, j'avais prévu de couper la route en deux étapes, mais j'ai changé d'avis pour pouvoir voir l'ours noir. Et dieu sait que j'ai bien fait...
Je reconnais qu'en montant dans ma voiture, j'appréhende un peu ces 600 km d'une traite, mais j'allume mon ipod, je monte le son et j'appuie sur l'accélérateur.
Les Québécois ne sont pas vraiment des conducteurs émérites, pourtant on saurait difficilement leur en tenir rigueur. Ils déboitent effectivement n'importe comment et le clignotant est un luxe qu'il se permettent rarement, mais ils sont d'une courtoisie exemplaire et se rabattent systématiquement sur la file de droite quand on veut les doubler. On ne saurait d'ailleurs guère leur tenir rigueur de leur sens approximatif du volant car il y a dix ans, le gouvernement a trouvé une astuce autrement plus efficace que la jupette pour relancer le marché automobile. Ils ont décrété que le permis serait d'office accordé à toute personne qui pourrait justifier d'un an de conduite (sans aucune leçon obligatoire). Ce n'est donc pas l'intention de bien faire qui manque à cette génération de conducteurs autodidactes, mais juste la manière de le faire.
Pour autant, une fois qu'on a pris le pli, les kilomètres défilent tranquillement et mon hémisphère gauche y trouve les circonstances idéales pour phosphorer sur le sujet de mon prochain roman. Sans doute que de savoir ce rabat-joie d'hémisphère droit concentré sur la conduite l'aide à se libérer...
Je vois le paysage changer lentement. La forêt recule à pas de loup, abandonnant les rives du Saint-Laurent à des plages de sable blanc où d'énormes galets sont éparpillés comme un jeu d'osselets oublié là par un titan.
Puis le Saint-Laurent prend des allures d'océan, fracassant ses vagues sur la roche qui écrase les plages de sable blanc. Le relief est de plus en plus accidenté. Les barrages hydro-électriques se succèdent à un rythme étonnant et la route enjambe des dizaines de rivières qui cascadent dans l'embouchure du fleuve en rapides intrépides. Il y en a tellement que ça a fini par poser des problèmes d'inspiration pour les baptiser.
Certaines ont trouvé leur nom d'elles-mêmes : la Rivière au Tonnerre parce qu'elle gronde comme le ciel un soir d'orage, ou la rivière Manitou parce qu'elle impose le respect aussi sûrement que le silence d'un vieux sage.
Mais une fois épuisés les superlatifs, il en restait encore tant à nommer que les autochtones se sont apparemment retrouvés livrés à eux-mêmes : je traverse la Rivière à Moïse, le Ruisseau à Marcel et une foultitude d'autres dans la même veine.
Vous noterez que j'ai bien écrit la Rivière A Moïse et pas la Rivière DE Moïse. Ici, les cours d'eau font exception à la règle sur le possessif.
Ceci étant dit, Marcel n'a aucune honte à avoir car son ruisseau n'a rien à envier à nos torrents européens, il est juste un brin plus petit que la Rivière à Moïse, mais ici tout est démesuré.
Même le ciel est immense. Je vois les fronts nuageux s'avancer sur des kilomètres de distance et j'ai l'impression d'avoir un océan suspendu au dessus de la tête. Pourtant, à bien y réfléchir, il n'y a aucune raison rationnelle à ce que le ciel, ici, soit différent de chez moi. L'horizon n'est pas spécialement dégagé et la perspective devrait être la même. Sans doute est-ce donc moi qui en fait le miroir de mes états d'âme et me laisse écraser par le sentiment d'être une créature minuscule perdue dans cette nature sauvage...
Les nuages se fracassent sur l'horizon comme les vagues d'une mer ardoise. Mes pauses photo se font de plus en plus en jouant à cache-cache entre les gouttes. La forêt se disperse, les arbres sont de moins en moins haut et quand je passe la frontière de la Minganie, il n'y a plus de doute : je roule sous la pluie, dans la toundra !
Je pénètre dans Havre-Saint-Pierre avec le moral en berne. Ici, le drapeau acadien flotte au dessus de toutes les maisons. Il ornent les panneaux de rue et décorent les poteaux électriques. Les descendants de ces colons français (qui furent violemment déportés dans toutes les colonies britanniques pour avoir refusé de prêter allégeance à la couronne et ne pas devoir prendre les armes contre leurs propres familles), ceux-là donc affichent fièrement leur identité.
Je ne voudrais pas non plus généraliser sur le peu que j'en verrai, mais mes hôtes du gîte des 4 saisons sont aussi accueillants que les portes du bagne de Saint Pierre et Miquelon. Et après la chaleur des Québécois, c'est une douche presque aussi froide que la pluie glaciale qui bat contre les carreaux de ma chambre. D'autant qu'ils m'annoncent, avec l'indifférence d'un croque-mort pour un cadavre, que tout est fermé parce que la saison touristique ne commence que le 24 juin (avec les vacances canadiennes). Donc pas de resto, pas de bateau pour accéder à l'archipel, pas de centre d'étude des cétacés. Rien. Rien d'autre à faire que de regarder tomber la pluie...
J'ai fait 600km pour ça.
Et je vais devoir en faire 600 de plus dans l'autre sens.
La galère de voyage. IL en faut une. Et ben c'est fait !
J'ai le moral dans les chaussettes et j'en veux méchamment au Routard qui m'annonçait gaillardement que tout commençait début juin. ON en est loin... Ca me met d'ailleurs la puce à l'oreille et j'appelle pour vérifier que le safari à l'orignal que je voulais faire sur le chemin du retour est bien en route. Que dalle ! Rien avant une bonne semaine...
Je trouve un dépanneur (comprenez l'épicier arabe qui reste ouvert la nuit, en l'occurrence il n'a rien d'arabe, mais il est juste pas acadien). J'achète des bières et des pistaches pour faire passer le cafard et je me persuade que c'est l'ours noir qui me porte malheur. Je décide donc de repartir demain matin à l'aube, de foncer jusqu'à Baie-Comeau et de faire un "vrai" safari à l'ours. On part en milieu d'après-midi, on s'enfonce de 25km en forêt et on dort dans le bois pour surprendre les fauves. Même si on les voit pas, on en reviendra au moins avec l'odeur. Et puis cette fois, y aura pas d'allemand, j'aurai le guide pour moi tout seul !

http://picasaweb.google.fr/microsam/Mingan?authkey=Gv1sRgCJvj6LOszrDJ_AE#



permalink written by  Sam on June 7, 2009 from Havre-Saint-Pierre, Canada
from the travel blog: Sam au pays des caribous
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